Comme ça, l'idée que vos impôts engraissent un Bernie Ecclestone vous fait rugir? Vous ne supportez pas l'idée de vous faire fourrer par Bernie Ecclestone.

Et si ce n'était pas Ecclestone qui était en train de vous fourrer?

Ecclestone a quelque chose à vendre que les gouvernements veulent acheter parce que, paraît-il, c'est bon pour l'économie. Les gouvernements sont allés rencontrer Bernie à Londres et Bernie leur a dit: c'est tant. Qu'ont dit les gouvernements? On ne sait pas. On sait seulement qu'ils n'ont pas dit non. Gageons qu'ils ont dit quelque chose comme: cela devrait pouvoir se faire, donnez-nous un peu de temps.

 

Pourquoi ont-ils besoin de temps, les gouvernements? Trouver un promoteur? Trouver du financement? Pas du tout. Le gros problème des gouvernements dans ce dossier, c'est vous.

Oui, vous.

Comment vous faire accepter les millions de fonds publics qu'ils sont prêts à investir? Comment vous faire changer d'idée? Comment vous faire avaler la pilule?

Bref, comment vous fourrer?

Regardez-les finasser depuis qu'ils sont rentrés de Londres (probablement conseillés par une firme spécialisée en finasseries). Écoutez-les laisser entendre que cela va être une côte difficile à remonter. Mais voyez bientôt apparaître dans le décor un promoteur que vous allez aimer. Attendez-vous à ce qu'on annonce quelques investissements privés. La côte sera alors montée à moitié. Devrait-on la redescendre faute de fonds publics? Bien sûr que non.

À la fin, vous aurez l'impression d'une victoire. Vous vous serez fait fourrer, mais vous serez contents. Vous vous serez fait fourrer, mais pas par Bernie, mais pas parce que le Grand Prix est une hérésie; vous vous serez fait fourrer parce qu'on vous aura pris pour des cons.

Pourquoi ce cinéma?

Pour votre bien. Je n'ironise même pas. Ces gens-là ne pensent qu'à servir et à bien servir le peuple. Ce qui ne veut pas dire faire sa volonté. Le peuple est déraisonnable, toujours distrait par des chimères, prisonnier de son inertie, et surtout, surtout, le peuple ne sait pas.

Eux, savent. Ce sont des Élus.

Et c'est pour cela, madame, qu'ils puent.

Le bien commun

Je reviens sur ma chronique de samedi dernier dans laquelle je m'étonnais que la crise financière et économique ne renvoie qu'à des interrogations financières et économiques. Vous avez été nombreux à répondre à une question que je n'ai jamais posée.

Je ne vous ai jamais demandé pourquoi la crise.

J'ai posé que cette crise planétaire remettait en cause l'idéologie qui mène le monde, et je me suis demandé à voix haute: comment se fait-il que personne ne questionne cette idéologie? Sauf que je n'ai pas employé le mot idéologie. Exprès. Pour ne pas avoir l'air d'un survivant de l'autre idéologie - le socialisme - qui se frotte les mains, ah! ah! mes p'tits crisses, vous êtes en train de vous planter vous autres aussi...

Je ne crois évidemment pas que le capitalisme est en train de se planter. Il lui reste tant de marchés à conquérir. En Chine, on n'en est qu'au tout début; aux Indes aussi; le monde musulman finira bien par suivre et l'Afrique par sortir de sa savane... Bref, on en a encore pour au moins un siècle de plaisir!

Ce que j'interroge, c'est le dogme de cette idéologie: la consommation. Rappelez-vous la supplication de M. Bush au lendemain du 11 septembre: allez vite consommer. La consommation comme réponse au terrorisme. Pas l'émancipation par la culture ou l'éducation, la consommation. Voilà qui me semble aussi terrorisant que le terrorisme.

Puisque vous me le demandez, je crois à une finalité collective qui échappe au marché et que j'ai mièvrement appelée, dans ma chronique de samedi, le bonheur. J'aurais plutôt dû emprunter le vocable plus descriptif de Françoise David: le bien commun. J'en donne ici la définition de Jacques Attali dans une Brève histoire de l'avenir. Ce n'est ni la grandeur, ni la richesse, ni même le bonheur, mais la protection de l'ensemble des éléments qui rendent possible la vie: climat, air, eau, liberté, démocratie, cultures, langues, savoirs1.

On sait depuis 1989 que le bien commun ne peut être la propriété de l'État. On vérifie chaque jour depuis 1989 qu'il n'entre pas plus dans la logique du marché.

La beauté

Vous pensez que le plus beau de l'automne est passé? Pour moi l'automne n'est jamais aussi beau que lorsque ses feux s'éteignent comme ces jours-ci; quand ses feuillages, ce qu'il en reste, deviennent moins congestifs, quand ses feuilles mortes ont l'air mortes au lieu d'avoir l'air de brûler, et qu'une mélancolie pâlotte saisit les érables et les vinaigriers.

Je traversais un paysage transi par le premier gel avec l'impression de traverser une succession de tableaux. Un renard est sorti d'un fossé pour y retourner aussitôt quand il m'a aperçu; dans le champ d'un maraîcher, trois jeunes femmes agenouillées dans les sillons plantaient des aulx. Un vol d'oies attardées cacardaient dans le ciel. J'ai pensé retourner nous chercher une petite laine puis bof, j'ai dit à mon compagnon: on n'est pas des moumounes, quand même.

Au dépanneur à East Franklin qui affiche ses couleurs pour McCain, je suis allé chercher le chemin de terre où j'emmène parfois mes amis jusqu'à cette ferme, dans un minuscule val creusé dans un cirque pierreux. Là, j'ai dit à mon compagnon, tu vois ici, juste ici, c'est le plus bel endroit du monde. Bien sûr, il n'a rien ressenti, même s'il a été poli. Bien sûr, la beauté ne se décrète pas.

Pas plus qu'elle n'est contagieuse. Pensez, si on pouvait être beau par contamination, je serais le plus beau des chroniqueurs de l'hémisphère nord. J'en suis seulement le plus gentil.

1. Le Livre de Poche, numéro 30 985, page 283