Tout dégouline ces jours-ci, la démocratie dégouline, la spiritualité dégouline, la culture dégouline, la morale dégouline, la bonté dégouline. Dégouliner ne vient pas de dégoût comme on pourrait le croire, mais de goule, vieille forme de gueule, de bouche, dégouliner, en avoir si plein la bouche que cela dégouline par les commissures des lèvres, on dégouline toujours d'un trop plein de quelque bonne chose, le miel dégouline, le compliment dégouline, quand donc était-ce ? Jeudi, c'était jeudi. Jeudi fut une journée épouvantablement dégoulinante de tout.

Jeudi je signais cette chronique sur le programme ECR (Éthique et culture religieuse) et vos courriels allaient dégouliner de religiosité, mais je ne le savais pas encore, pour l'instant j'écoutais, à la radio dans mon auto, un moine bouddhiste occidental, fils d'un écrivain français, j'oublie son nom, il disait à peu près qu'on ne peut pas vivre sans spiritualité, ils disent tous ça. C'est la spiritualité qui donne un sens à l'existence, sans spiritualité tu ne vaux pas plus qu'un fruit blet, qu'un remugle de marais, qu'un arbre mort, qu'un couteau pas de manche et pas de lame, qu'un songe-creux. Et l'animateur opinait du bonnet. Oui, oui, c'est vrai.Discours énoncé de cette voix douce qu'ils ont tous, cette voix qui dégouline de bonté, de compréhension, mais qui distille aussi, ils réfuteront bien sûr, qui distille aussi une extrême violence...

Comme ça, moi et mes semblables athées qui n'aspirons à aucun infini, ne croyons en aucun après, comme ça nous ne serions que des fruits blets et des remugles de marais ?

Si j'emploie chaque minute de ma vie à donner le meilleur de moi-même cela ne vaut rien ? Cela vaut moins que le chrétien, le bouddhiste, le musulman qui s'emploie aussi à donner le meilleur de lui à chaque minute de sa vie ? Me dites-vous que je ne peux pas donner un sens à ma vie parce que je n'aspire à aucune réincarnation ? Et vous trouvez chrétien de m'asséner ce genre de connerie ?

Pour boucler la boucle avec la chronique de jeudi, un cours d'éthique et de culture religieuse à des petits enfants devrait obligatoirement commencer par cette introduction : chers petits enfants, dans la société, il y a des gens qui croient et d'autres qui ne croient pas.

Me semble que c'est ta pierre d'assise si tu veux construire une société. Si tu veux construire une Église, c'est autre chose.

Le lendemain, toujours à la radio, c'est la démocratie qui dégoulinait. Deux invités redisaient ce que tout le monde dit de ces élections provinciales, qu'elles sont sans objet, d'où le peu d'intérêt qu'elles soulèvent dans la population. C'est affreux, a dit (à peu près) l'animateur, c'est affreux, que va-t-il arriver à la démocratie ? Il voulait dire : les gens n'iront pas voter, et donc la démocratie est affreusement en danger.

L'impression que nous vivons dans une démocratie haletante, toujours au bord de suffoquer, toujours au bord de la Corée du Nord. Quand nos leaders d'opinion parlent de démocratie, particulièrement en période électorale, j'ai chaque fois l'impression d'un cours d'éthique et de culture religieuse.

Ici non plus l'athéisme n'est pas une option. Pourtant me semble que jamais, comme cette fois-ci, ne pas voter exprimerait exactement ce que vous pensez de ces élections.

J'y pense tout à coup, peut-être devrais-je fermer la radio ? Cette radio que j'aimais tant, me semble qu'elle ne parle presque plus, qu'elle dégouline de plus en plus, le même jour que le moine bouddhiste, on a eu droit aussi à Boris Machin le pape de la résilience et à Stéphan Bureau qui sort ses entretiens en livre, dont un entretien avec Boris Machin...

Stéphan Bureau que je vais écouter parfois à Télé-Québec, Stéphan qui dégouline toujours de cette intelligence que j'appelle intelligence-d'annexion, je ne sais pas trop comment ça marche, je sais seulement qu'à un moment donné sans qu'on l'ait vu faire, on s'aperçoit que c'est l'invité qui a mis Stéphan en orbite et pas le contraire. Et là j'ai toujours le même petit échange avec ma fiancée, je lui dis : Qu'est-ce qu'il est brillant quand même, Stéphan...

Elle : Et l'autre, comment tu le trouves ?

Moi : L'autre on s'en fout.

Mais je reviens aux élections, pas celles-ci, les précédentes, souvenez-vous quand elles se sont mises à dégouliner de... culture. Dieu que j'étais content. Dieu que j'aime la culture presque autant que la bicyclette. Tous les jours des articles sur la culture, des artistes fâchés contre M. Harper, des citoyens fâchés contre les artistes, j'étais en vacances mais j'ai quand même découpé dans Le Devoir un texte de Wajdi Mouawad qui commence comme ça : Il n'est pas demandé à tout le monde d'être un artiste, mais aux artistes il est demandé de ne pas être comme tout le monde... Voyez, c'est exactement pour ça que j'aime Wajdi Mouawad presque autant que M. Bureau, parce que c'est un créateur. Savez-vous si M. Bureau a déjà interviewé M. Mouawad ? Vous savez ce qui serait gentil ? Ce serait de m'offrir la cassette pour Noël.

On n'aimera pas mon image mais je vais la livrer quand même, à un moment donné dans tout ce guerroyage culturel, la culture au Québec m'est apparue comme un vaste champ de ruines, tous les artistes du Québec étaient rassemblés dans ce champ et tous pleuraient, pourtant j'en ai vu plusieurs qui n'étaient pas des victimes mais les démolisseurs mêmes, responsables des ruines.

Vous savez ce qui ne dégouline jamais ? La poésie. Si ça dégouline, ce n'est pas de la poésie. Tiens, les petits malins, pour finir, d'où ai-je tiré ces vers ?

Esprits voleurs de chapeaux\Fantômes de caracames\De fatagins, de marmoses\De réincarnés précoces\De transfuges de la mort...

Ne googlez pas pour rien, hé, je ne suis pas si con.