RÉSUMÉ DES FAITS - Un employé de Wal-Mart a été piétiné à mort par une foule de consommateurs qui, après avoir fracassé les doubles portes vitrées du magasin, s'est précipitée vers les super soldes de liquidation de ce lendemain de Thanksgiving, notamment des téléviseurs plasma 50 pouces à 798$, des mini aspirateurs à 28$ et des caméras numériques 10,2 mégapixel à 69$.

NOTE - Les détails rapportés ici peuvent être vérifiés dans les dépêches des agences et dans le New York Times de samedi.

 

RETOUR AUX FAITS - Le lendemain de Thanksgiving, appelé Black Friday, est la plus grande journée de magasinage aux États-Unis, plus grande encore que le Boxing Day du lendemain de Noël.

Environ 2000 consommateurs ont attendu toute la nuit devant les portes du Wal-Mart du centre commercial Green Acres de Valley Stream, à Long Island, dans l'État de New York. Plus approchait l'ouverture prévue pour 5h du matin, plus la foule devenait agitée. À 4h55, une charge venue de l'arrière a projeté les premières rangées sur les doubles portes vitrées qui ont été fracassées et la foule s'est engouffrée.

Les employés du magasin qui, de l'intérieur, essayaient d'endiguer la ruée ont été soit emportés, soit renversés. C'est le cas de Jdimytai Damour, d'origine haïtienne, 34 ans, qui a été piétiné à mort.

Quand, une heure plus tard, les haut-parleurs du Wal-Mart ont annoncé à la foule qu'elle devait quitter le magasin parce qu'un employé avait été tué, des protestations se sont élevées, les consommateurs ont refusé de quitter les lieux criant qu'ils avaient attendu toute la nuit l'ouverture des portes.

NOTE Si les détails rapportés jusqu'ici sont rigoureusement exacts, la liste qui suit est imaginaire, ce qui ne change rien à la véracité de l'histoire, sauf les noms.

LISTE DES CONSOM-MATEURS QUI ONT ÉTÉ LES PREMIERS À PIÉTINER À MORT M. DAMOUR - M. Jay Bradwyn. M. Alonzo Reid. M.H.L. Sheppard. Mme Betty Hicks, elle allait acheter un tutu rose pour sa petite-fille Lee Ann qui sera du spectacle de danse de Noël de son école. Mme Marie Girardeau. M. Duke West. Mme Cheryl Middelton. Mme Jessica Alexander, elle allait acheter un four infrawave à cuisson rapide en super solde à 89,99$ (40% de rabais). Mme Sue Smith. M. Marcus Crawmer. Mme Rachel Thomas. M. Van Thuoc Nguyen. Mme Susan Foody et son fils Brad. M. Carlos Seranno. M. Abdel Malik Allami. Mme Alice Herb. M. Christopher O'Neil. Etc.

Et beaucoup plus loin dans la foule, Mme Nancy Walsh et son amie Mme Lauren Meehan. Nancy a failli buter dans M. Damour, heureusement Lauren l'a tirée par le bras, attention Nancy y'a quelqu'un par terre. Elles sont arrivées trop tard pour les caméras numériques 10,2 mégapixel. Nancy s'est rabattue sur des DVD dont The Incredible Hulk à 9$, des rallonges électriques pour l'extérieur et un jeu de trois bols qui peuvent aller au micro-ondes.

NOTE Je n'ai pas écrit cette chronique. Je l'ai tirée de l'actualité comme une baleine que j'aurais tirée de la mer, aussi grosse que ça.

Je ne parle pas de l'assassinat d'un employé. Je ne parle pas d'un simple fait divers. Je parle d'un système qui repose tout entier sur la consommation dont on nous rabâche qu'elle est LE grand vecteur de civilisation.

Vous savez où vous pouvez vous la mettre cette civilisation qui porte 2000 abrutis à passer la nuit devant un Wal-Mart?

UN AUTRE FAIT DIVERS QUI N'A RIEN À VOIR, MAIS POURTANT SI, UN PETIT PEU QUAND MÊME - Dans la capitale de ce pays d'Afrique que je ne nommerai pas, Immaculée est employée d'une ONG. Un soir de la semaine dernière, alors qu'elle rentrait chez elle, le matalu (petit autobus privé qui supplée aux transports en commun), le matalu dans lequel elle avait pris place a fauché deux vendeurs ambulants sur le bord de la route, les tuant sur le coup.

Le chauffeur s'est sauvé. Les passagers et la foule des badauds qui venaient d'assister à l'accident se sont précipités pour dépouiller les victimes de leurs habits et souliers et piller leurs pauvres étalages renversés, chewing gums, cigarettes et autres menus articles.

Le collègue québécois d'Immaculée qui me rapporte cette histoire termine son courriel en me disant que «ce fait divers est plus épeurant que la guerre en cela qu'il nous montre une société qui a perdu ses repères et ses valeurs».

Ses repères et ses valeurs? Vous me donnez une idée monsieur le coopérant: cette Immaculée au si joli nom, envoyez-nous-la donc. On lui trouvera un emploi dans un Wal-Mart.