Soudain, un lecteur qui est souvent une lectrice rebondit dans mes courriels: je ne sais pas quoi lire ces temps-ci, pourriez-vous me conseiller quelques titres?

Madame! Dites-moi plutôt: je sors demain avec un nouvel amoureux, j'hésite entre ma robe bleue et la jaune; que me conseillez-vous? La bleue, madame. Le jaune est affreux. Mais pour les livres! Comment voulez-vous que je sache?

 

Tiens, pourquoi pas le dernier Robert Lalonde, Un coeur rouge dans la glace? Le Devoir, sous la plume de Danielle Laurin, délirait dans son cahier livres de samedi: de la beauté, de la vraie, de la grande littérature, oui.

Je l'ai croisé à la librairie l'autre jour, M. Lalonde. Sa tête me disait quelque chose. Vous êtes écrivain, n'est-ce pas? Françoise s'est précipitée pour nous présenter. Robert Lalonde, Pierre Foglia. Peut-être craignait-elle un incident. Ma libraire est bien placée pour savoir que je ne le lis pas. Il le savait aussi, bien sûr. Curieux, il m'a demandé pourquoi.

Dans mon embarras, j'ai dit un peu n'importe quoi: la nature. En même temps c'était vrai. Vous parlez toujours de la nature...

Pas seulement, s'est-il gentiment défendu.

Une fois, lors d'une rencontre impromptue, l'écrivain français Jean-Paul Dubois m'avait dit tout le bien qu'il pensait de Robert Lalonde et les raisons qu'il énumérait - et qui m'apparaissaient à moi «exotiques» - étaient exactement celles qui m'en éloignaient. D'ailleurs, Lalonde est un des auteurs québécois qui ont le plus de succès en France où il est publié à L'Olivier-Le Seuil (comme Dubois).

J'ai acheté Un coeur rouge dans la glace. Je ne l'ai pas encore ouvert. J'aimerais tellement aimer, ce qui n'est pas la meilleure des dispositions pour lire. Comme l'insomniaque quand il dit: j'aimerais tellement dormir.

Que pourrais-je bien vous conseiller d'autre, madame? J'étire ces jours-ci la lecture d'un petit livre délicieux pourtant traduit du suisse-allemand: Promenades avec Robert Walser par Carl Seelig.

Walser est un immense écrivain suisse - immense en même temps que confidentiel - que tous mes amis connaissaient, mais pas moi. Croyez-vous que ces salauds m'en auraient parlé? - cela dit assez à quoi servent les amis: à rien.

Carle Seelig est un autre écrivain suissse-allemand, peu connu celui-là qui, lorsque Walser fut interné, allait le chercher à l'asile pour l'entraîner dans de longues promenades à pied à travers la Suisse des années 40. Ce sont ces promenades qui nous sont rapportées en toute simplicité. Nous voilà marchant d'un bon pas sur la route de Gossau, une belette blanche file devant nous, se range sur le bas-côté pour nous regarder passer dressée sur ses pattes arrière... À la boucherie-restaurant de Bischofszell on nous sert du bouillon de poule, de la viande en sauce, des petits pois, des pommes de terre sautées. Celle-là est datée de mai 1943. À deux pas de l'Europe en feu, une belette helvétique regarde passer deux marcheurs qui s'en vont manger du bouillon de poule et des petits pois.

Comment saurais-je madame si ce petit livre pourra vous plaire? Vous aimez l'écriture très «écrite» ? Celle-là ne l'est pas tout. Celle-là est pour aller lentement manger un bouillon de poule.

Tiens, un truc que vous pourriez essayer, c'est de demander à votre libraire de vous faire une surprise. J'ai demandé ça l'autre jour à Françoise. Pour que la surprise en soit une, j'ai envoyé ma fiancée chercher le livre. Elle est revenue avec Seul le silence de R.J. Ellory.

C'est un faux roman noir qui gagnerait beaucoup à en être un vrai. Les romans noirs laissent toute la place à l'écriture, les romans noirs donnent à lire tandis que les romans policiers donnent à chercher: c'est qui le tueur? Ça m'énarve.

Dans Seul le silence, il y a un type qui tue des petites filles pendant 500 pages, on ne saura pas qui avant la 500e page, et on devine que si l'auteur avait pu en rajouter une pour qu'on l'apprenne seulement à la 501e, ou mieux, en grattant un gratteux en quatrième de couverture, il l'aurait fait.

Bref, madame, plutôt qu'un faux roman noir, essayez-en donc un vrai. Un de ces deux-là, tiens, très différents de facture, De sang-froid de Truman Capote qui est un peu à l'origine de ce qu'on a appelé le nouveau journalisme, ou 1275 âmes de Jim Thompson qui est un peu beaucoup à l'origine du film Coup de torchon, une des grandes interprétations de Noiret. Et deux autres, tiens, Rage noire du même Jim Thompson, et La vierge des tueurs de Fernando Vallejo, un auteur colombien.

Vous ne trouverez pas ces livres-là facilement, madame - sauf De sang-froid devenu un classique. Quoi d'autre? Vous parlerais-je de Jérôme que j'ai lu à l'automne?

Quand j'aurai lu mon dernier livre juste avant de mourir et que je ferai le compte, Jérôme de Jean-Pierre Martinet sera des cinq ou six qui ont compté avec Le Voyage au bout de la nuit.

Oublié dans le tiroir d'un éditeur pourtant audacieux (Jean-Jacques Pauvert), Jérôme a été publié une première fois en 1978 - échec complet! - puis réédité confidentiellement en 2008. C'est un de ces livres que les libraires vous passent presque sous le manteau comme les livres de cul autrefois ou comme les fromages au lait cru au Québec il y a 40 ans. Pour moi, le passeur a été le libraire helvète de chez Gallimard, boulevard Saint-Laurent, qui m'a mis sur le coup. Je le remercie infiniment de m'avoir plongé dans cette éructation de 500 pages, ce discours halluciné sur l'abyssal néant du monde, en référant parfois à Faulkner, parfois à Joyce, parfois à Céline, parfois à Aragon. Vous n'aimerez pas, je vous le jure.

Il me vient une idée pour finir. Connaissez-vous, madame, la collection Le monde de la philosophie, une initiative du journal Le Monde qui, en partenariat avec Flammarion, a édité récemment les grands textes fondateurs de la philosophie occidentale, des livres magnifiques, cartonnés, avec le signet rouge en tissu, chacun dans un étui, pour moins de 20$ chacun, Aristote, Voltaire, Rousseau, Montaigne, Spinoza, saint Augustin, Hume, etc.?

Permettez-moi une autre question, faites-vous du jogging? Je vous félicite. Et pour le cerveau, que faites-vous? Rien? Je m'en doutais.

Dans cette collection dont je viens de parler, vous allez aller acheter Le gai savoir de Nietzsche. Cinq pages par jour et doucement.

Doucement, j'ai dit.