Depuis la dernière fois que je vous ai parlé de cinéma, j'ai vu Borderline et la soirée des Jutra à laquelle j'ai fini par couper le son pour ne plus entendre l'interminable hommage à Fernand Dansereau, les remerciements informes des gagnants, et plus irritant encore, l'hommage qu'on a voulu faire au texte, maladroit et déclamatoire. Les gens de cinéma ne se rendent même pas compte qu'ils ont au texte une relation purement utilitaire, les gens de cinéma aiment le texte comme les handicapés aiment leur chaise roulante parce que c'est elle qui les mène.

En plus, ce n'est même pas nécessaire. Je veux dire, leur révérence au texte, en plus d'être de pure convention, n'est pas nécessaire. On a vu souvent au cinéma de très grands textes donner des films de merde, et à l'inverse des textes plutôt moyens donner de bons petits films. Je pense à Borderline qui a remporté quatre trophées mérités dimanche soir, dont deux - la réalisation et le montage - qui soulignent justement combien la réalisatrice et le monteur en ont pédalé une shot pour boucher les trous du scénario de Marie-Sissi Laberge. Imaginez ce film-là joué moyen, réalisé ordinaire, monté sans génie, on eût été dans le mélo longtemps, même qu'à la fin on serait tombé dans la crème pâtissière, on y tombe un peu d'ailleurs.

Si les gens de cinéma voulaient vraiment souligner l'importance du texte, ils ont manqué une sacrée belle occasion de récompenser l'inspiration et la justesse de ton du scénario original de Tout est parfait de Guillaume Vigneault.

Pour revenir à la soirée des Jutra, le cinéma québécois qui n'a jamais produit autant de très bons films, tous en même temps, méritait mieux que ce gala plat. Seule éclaircie de la soirée, l'apparition du documentariste Patricio Henriquez; j'ai remis le son quand je l'ai vu débarquer, je croyais qu'il allait lui aussi parler du texte - il y a bien longtemps de cela c'est Patricio qui m'a branché sur Vargas Llosa, La tante Julia et le scribouillard - mais Patricio n'a pas parlé du texte, il a parlé culture, je le cite de mémoire: «la culture, c'est comme un parachute; quand tu n'en as pas, tu t'écrases...»

Es-tu bien sûr de cela, Patricio? J'en vois tant qui planent très haut, sans le moindre parachute pour les garder dans les airs, grosses ballounes de mongols-fiers soufflées à l'hélium de leur connerie.

Anyway.

PÂQUES - J'ai roulé samedi avec Luc, mon voisin du bout du chemin. Un petit 50 kilomètres tranquille. Vous aussi, je sais, vous avez roulé, je vous ai vus. Vous roulez vite à part ça, première sortie, 30-33, vous avez spinné tout l'hiver ou quoi? Vous avez bien changé. Il y a seulement quelques années, vous rouliez tous avec des vélos hybrides, ou pire, de montagne avec des pneus larges ça, vous disiez que c'était plus sécuritaire, vous vous souvenez? On annonçait la fin du vélo de route. C'est plutôt la fin du vélo de montagne qui est en train d'arriver.

Je vous ressemble de plus en plus: j'ai un casque maintenant. Je n'avais plus le choix, je vous expliquerai une autre fois. Anyway on est allé à l'Oeuf où Pierre moule ses chocolats de Pâques. Le comptoir et les étagères de la boutique croulent sous les lapins de Pâques, les poules de Pâques, les cocos de Pâques, les grosses cochonnes de Pâques avec des petits cochons dans leur ventre, et cette année en mon honneur, les casques de vélo de Pâques en chocolat, ben non c'est pas vrai.

On est revenu le vent dans le dos. Il faisait doux comme en mai, sauf qu'il y a encore de la neige dans les fossés et que l'air se chargeait de l'odeur de la terre mouillée.

LOST IN TRANSLATION - L'autre jour à La Presse: Elena. Écrivaine, originaire de Tbilissi en Georgie. Ça va? Pas si bien que ça, je lui dis, j'ai mal ici et là. Je ne ne sais plus comment ni pourquoi nous voilà à parler médecine traditionnelle. Quelques jours plus tard, courriel d'Elena qui m'envoie une recette pour soigner ce que j'ai: quelques décoctions d'herbes et de plantes, mais la recette doit être précédée, m'écrit-elle, d'un traitement aux leeches.

Dans mon anglais approximatif je comprends que les leeches sont ces petits fruits à chair blanche sous une écorce rugueuse que l'on trouve en grappes dans les épiceries chinoises et que l'on appelle en français des litchis ou letchis.

Chouettte, j'adore les litchis. Je réponds à Elena que je vais de ce pas en acheter douze caisses. Hon hon, s'amuse-t-elle, ça c'est les lychees! Je parle moi de leeches, leech au singulier: sangsue! Un traitement aux sangsues.

Les sangsues! J'avais complètement oublié cette barbarie à laquelle ma mère nous soumettait parfois mes soeurs et moi pour nous guérir de je ne sais quoi, la grippe sans doute. Non, pour la grippe, c'était des ventouses. Les sangsues, c'était plus grave; c'était juste avant de mourir, quand on n'avait plus choix. Elle nous les disposait dans le dos. Quand les bestioles étaient pleines de sang, elles se détachaient toutes seules de notre peau. Après on les écrasait ça faisait floutche - non, ça c'est au basket - ça faisait: piousche.

J'essaie de me rappeler où elle se les procurait. Je crois qu'à l'époque les pharmacies en tenaient, mais radine comme elle était, peut-être allait-elle les chercher elle-même dans les marais où ces sympathiques bestioles se tiennent.

Quelle rocambolesque idée de la médecine: se faire sucer son mauvais sang par une bête des marais! Des fois je n'en reviens pas comme j'arrive de loin. Du fond, du fond du Moyen-Âge.

ALEX KOVALEV - Des nouvelles de mon ami Maxiiiime. Bonjour monsieur le chroniqueur, il est 9:30 du matin, j'écoute le Canadien sur l'internet, je suis à Nagoya depuis 6 mois, j'ai enseigné l'anglais à des militaires, je vais bientôt enseigner à des freshmen de Mitsubishi (ils font des navires de guerre et des crayons à mine), Kovalchuk vient de scorer: 2 à 2. Je me sens pas mal 2 à 2 moi aussi, il se passe pas grand chose ici, je lis des romans de science-fiction, et je joue à Fallout 3. Fallout 3 c'est un peu comme le roman The Road dont vous avez parlé, mais avec une manette, c'est ben le fun comme jeu, AAALEEEX KOVAAALEV, 3-2.

Tout ça pour dire que je suis au Japon, si vous voulez bien me donner une tite minute, m'a aller me faire des toasts. AAALEEEX TANGUAAAAY. 4-2. Je veux pas vous faire perdre votre temps, c'est juste que quand je vous lis, vous me faites penser à un vieux monsieur en amour, pis ça me tentait de vous dire bonjour. AAALEEEX KOVAAALEV 5-2, mes toasts doivent être prêtes, salut là.