Ce n'est pas pour me vanter, mais je suis en train de lire Madame Bovary. Relire? Si vous voulez. C'est comme retourner, 50 ans plus tard, dans une ville où on se souvenait à peine d'avoir séjourné, pourtant on s'y reconnaît comme dans un lieu familier...

Dès les premières lignes, quand le proviseur amène le jeune Charles Bovary à l'étude, je savais qu'il allait mettre sa casquette sur ses genoux en s'asseyant, qu'elle tomberait quand le professeur lui commanderait de se lever, que toute la classe éclaterait de rire. Déjà là, on sait pourquoi Madame Bovary: parce que monsieur n'existe presque pas. Quelques pages plus loin, il sera déjà médecin, puis marié, puis veuf, puis remarié avec Emma Rouault. Le livre peut alors commencer.

 

Cette Madame Bovary vient de la bibliothèque d'un ami, ici, au village. Elle sent le vieux livre humide. Elle est enluminée en page couverture de festons et de rameaux qui encadrent un visage de madone stylisée, mais une madone avec du rouge à lèvres, ce qui est assez dire la pute qui sommeille dans son coeur. Le livre a été imprimé en 1946, à Montmagny, pour le compte de B.D. Simpson éditeur, rue Dorchester à Montréal. Comme en fait foi un coup de tampon, mon exemplaire a été vendu par la librairie Roméo Blais de Rimouski, ouverte en 1937. Elle existe encore à la même enseigne, qui a toutefois perdu son Roméo. C'est maintenant la libraire Blais.

Le premier acheteur du livre a écrit son nom à l'encre bleue en page de garde: P.M. Chabrier, souligné d'un trait tiré à la règle. Probablement un instituteur de campagne qui, avec la même règle, donnait des coups sur les doigts des élèves surpris à bavarder.

Viens ici!

C'est pas moi, monsieur...

Viens ici!

J'ai hâte d'arriver aux baisers qui se précipitent, au grand lit en forme de nacelle, aux rideaux de levantine rouge, de levantine rouge! Non mais quelle salope(1).

Mais ce qu'il y a de plus délicieusement cochon dans ce livre-là, oserais-je le dire? C'est de le lire plutôt que le journal et alors que les Nord-Coréens font des essais nucléaires dans leur cour, que les Nord-Montréalais manquent cruellement d'avocats, et que mon boss m'appelle: de quoi parles-tu demain?

De Flaubert.

Le silence qui a suivi était franchement libidineux.

CINÉMA Vous vous rappelez, je vous disais que, forcément, je ne verrais pas Dédé à travers les brumes comme vous parce que j'étais complètement passé à côté des Colocs et de Dédé Fortin de son vivant et que ce serait comme si je voyais un film islandais ou danois.

Finalement je disais n'importe quoi parce que, comme vous, j'ai beaucoup aimé.

Je n'ai jamais autant tripé sur le cinéma d'ici. J'ai adoré Tout est parfait, Maman est chez le coiffeur, même (et surtout en fait) des petits films beaucoup moins achevés comme À l'ouest de Pluton, ou Demain. Et même Borderline, plus racoleur et conventionnel.

Est-ce une idée que je me fais? On est en pleine rupture de ton avec le cinéma québécois d'avant qui a parfois donné des chefs-d'oeuvre mais qui, même dans son universalité, renvoyait à une réalité, à un propos si résolument québécois qu'il en devenait folklorique. Me semble que tout en ne reniant rien, dans ses récents «petits films», le cinéma québécois atteint enfin - je vais sans doute faire hurler sur les plateaux -, atteint au génie des films américains indépendants.

Je pense à Frozen River.

Je pense à Wendy and Lucy avec Michelle Williams. Vous n'avez pas vu? C'est l'histoire d'une fille qui perd son chien. C'est surtout un film qui nous propose une extraordinaire image de la beauté ordinaire et désespérée - le stade ultime de la beauté. Une telle image de l'autre beauté qu'à la fin de Wendy and Lucy m'est venue une inquiétude: vais-je être encore capable de regarder un film avec Michelle Pfeiffer? Déjà que je ne suis plus capable avec Julia Roberts.

Je sais. Chaque fois que je parle d'un film que j'aime c'est un petit film. Eh bien, il y a des exceptions. J'ai adoré Slumdog Millionaire, j'ai adoré la forme, le feuilleton, cette vieillerie littéraire. J'ai aimé que les acteurs viennent saluer à la fin comme au théâtre.

Pour revenir au cinéma, dans un article sur le néo-réalisme américain (dans un récent magazine du New York Times) on dit de Slumdog Millionaire que c'est du cinéma d'évasion typico du temps de crise que nous traversons. Alors que Wendy and Lucy, Frozen River ou Goodbye Solo (du New-Yorkais Ramin Bahrani), c'est du cinéma pour s'évader du cinéma d'évasion.

Je dirais ça autrement, mais ça reviendrait au même: des fois c'est le spectateur qui s'évade. D'autres fois, c'est le film.

LE PAIN NOIR Tu vas rouler par ce vent?

Aussi bien se faire une raison. Il a venté tout le mois de mai. Presque toujours du sud. Alors, exprès, je pars plein sud, pour manger mon pain noir d'abord.

Je pars face au vent qui me cloue sur le chemin. Je me bats avec lui, lui crache des injures qu'il emporte en sifflant. Dix, vingt, trente-cinq km plein vent. Et soudain il tombe. Je suis parti tard, le vent tombe toujours le soir. Je ne reviendrai pas le vent dans le dos.

Vous pensez que je vous parle de vélo? Je vous parle de pain noir. Pensez-y avant de manger votre pain noir d'abord. Souvent, après, il y en a encore.

(1) Flaubert a d'ailleurs été accusé d'avoir fait un mauvais livre qui outrageait le morale et la religion. On peut lire à la fin de mon édition le réquisitoire de l'avocat impérial, la plaidoirie de son défenseur et l'acquittement prononcé par le juge qui regrette cependant que l'auteur ait oublié que la littérature, comme l'art, se doivent d'être chastes et purs dans leur forme et leur expression.