Au-delà de la mauvaise politique qu'est en train de faire le ministre de la Santé avec le cancer du sein, ce qui est d'abord en cause ici, c'est le contrôle de la qualité dans la majorité des laboratoires de pathologie du Québec.

On imagine bien ce que peut être le contrôle de la qualité dans une usine de chaussures, mais dans un laboratoire de pathologie? Et d'abord, c'est quoi la pathologie?

 

C'est la 5e roue du carrosse de la médecine. Ça se terre dans le sous-sol des hôpitaux, ça analyse des bouts de sein, de poumon, de vessie, de rate, ça donne souvent des mauvaises nouvelles. En chiffres, c'est, au Québec, 200 pathologistes dans 55 laboratoires.

Une bosse suspecte sur un sein. Biopsie. Le prélèvement de tissu arrive au laboratoire de pathologie, il est gelé dans de la paraffine pour qu'on puisse le trancher en lamelles qui seront exposées à des marqueurs, trempées dans des solutions qui les feront devenir orange ou bleu pâle. C'est la partie technique assurée par des laborantins.

Le pathologiste lit ensuite les résultats. S'il y a eu erreur dans la partie technique, c'est sûr qu'il va errer. Mais l'erreur peut être aussi la sienne: il peut mal lire de bons résultats techniques. Bref, quelle que soit leur origine, trois sortes d'erreurs. Très rare, le faux-positif: on a vu un cancer là où il n'y en a pas. La plus redoutée, tout aussi rare: ne pas voir de cancer là où il y en a un. Enfin, la troisième erreur, de loin la plus répandue: il y a bien un cancer, mais la mauvaise exécution des tests ou leur mauvaise lecture a mené à une classification erronée de la tumeur et le traitement risque donc d'être inapproprié.

Exemple: le Herceptin est un médicament très efficace dans le cas de tumeurs au sein qui produisent une certaine protéine, mais inutile sans la production de cette protéine. En cas d'erreur on va, soit se priver d'un médicament efficace, soit l'administrer en vain (l'Herceptin est un médicament extrêmement cher, plus de 40 000$ par année).

Vous allez me dire que l'erreur est commune... Pourquoi, soudainement, suspecter qu'il se ferait plus d'erreurs dans un laboratoire de pathologie que dans une usine de chaussures?

Contrôler la qualité dans une usine de chaussures, c'est assez facile: t'en prends une dans chaîne, si elle est croche, tu la jettes. Dans un labo, le mauvais résultat a l'air aussi bon qu'un bon. Le seul moyen de le détecter: par l'instauration dans le laboratoire d'un rigoureux système de contrôle de qualité. Comment ça marche? Précisément, je n'en sais trop rien. Relecture indépendante des résultats à l'extérieur du labo, robotisation des opérations techniques, en précisant, bien sûr que le plus rigoureux des contrôles de qualité ne corrigera pas toutes les erreurs. Même qu'il en restera pas mal: jusqu'à 10%, me dit-on.

Mais sans contrôle de qualité, quel pourcentage d'erreurs?

C'est ce qu'on s'est demandé à Terre-Neuve où on a découvert, au début de l'année, que selon les labos il pouvait y avoir jusqu'à 30% d'erreurs sur le diagnostic du cancer du sein. Franchement effarant.

Et au Québec? Le docteur Louis Gaboury n'est pas seulement président de l'Association des pathologistes du Québec, c'est aussi un chercheur super bien équipé et bien entouré dans son labo de l'Université de Montréal.

Il a soumis à 25 laboratoires de pathologie du Québec 15 échantillons de cancer du sein dans le cadre d'un projet pilote dont l'objectif était de faire l'inventaire des méthodes et des tests utilisés. Les résultats seraient bien entendu anonymes.

Trois labos, on ne sait donc pas lesquels, le ministre non plus, ont renvoyé 30% d'erreurs. Comme à Terre-Neuve. Soit 4 diagnostics erronés sur 15. Et pour l'ensemble des 25 labos, entre 15 et 20% d'erreurs.

Le ministre Bolduc s'inquiète-t-il? Pas beaucoup, je trouve. Il estime que l'étude a été mal interprétée, et d'ailleurs que son but n'était pas d'évaluer la validité des diagnostics.

Attendez une minute, M. le ministre. Les labos ont-ils oui ou non renvoyé 20% d'erreur sur ces 15 cas? Je comprends bien qu'aucune femme n'a été mise en danger par ces erreurs-là, mais est-il archifaux, comme vous le prétendez, d'en déduire que si ces laboratoires ont commis 20% d'erreurs dans le cadre de ce projet pilote, ils en commettent sans doute 20% aussi dans leurs opérations régulières?

Pourquoi archifaux?

Ce projet pilote serait tombé dans la semaine de relâche? On aurait engagé des marchands de chaussures pour faire les tests?

Il faudrait voir ce que donne le même test dans les 25 autres labos du Québec. Mais archifaux? Vous êtes sûr? Et si, au contraire, c'était un peu vrai? Et même, plus que ça: la pointe de l'iceberg?

Le ministre n'a pas manqué de relever que l'étude du Dr Gaboury avait été payée par la compagnie pharmaceutique (Hoffmann-Laroche) qui fabrique le Herceptin. On le félicite de son sens critique, ça fait du bien d'entendre enfin un ministre de la santé s'interroger sur l'arrogance des multinationales pharmaceutiques. Dommage que ce soit mal à propos. Le ministre met-il en cause ici l'intégrité du Dr Gaboury? Le ministre suggère-t-il que le chercheur a été complaisant? Au fait, n'avait-il pas frappé en vain à la porte du Ministère pour financer sa recherche avant de se tourner vers le privé?

Le ministre n'a pas manqué non plus d'accuser les médias d'avoir déclenché un mouvement de panique. Message reçu. La prochaine fois on titrera: «Magnifique! 70% des tests pour le cancer du sein sont bons».

O. K., le ministre ne supporte pas le président de la Fédération des médecins spécialistes, le Dr Gaétan Barrette. Mais que voulait-il dire au juste en nous rappelant que «le Dr Barrette, quand il parle, parle au nom d'un syndicat» ? Euh, oui... comme président du syndicat des médecins spécialistes, le Dr Barrette parle au nom des pathologistes, cela fait-il problème?

C'est vrai que le Dr Barrette a intempestivement étendu les résultats très inquiétants aux autres types de cancer. Mais la population avait déjà tiré, de toute façon, la même conclusion. Sans doute a-t-elle tort, mais comment voulez-vous qu'elle se rassure, M. le ministre, quand elle vous voit surtout occupé à minimiser les choses pour sauver le cul de votre gouvernement?