Là, là, vous êtes contents? Les anglos chanteront à la Saint-Jean. Moi aussi je suis content, pour toutes les bonnes raisons que vous avez dites. Exclure ces deux groupes d'anglos n'était vraiment pas une bonne idée de la part des organisateurs de l'événement - du moins de l'un d'eux vite désavoué - ou sacrifié? - par les autres.

Je suis content pour autre chose aussi. La vitesse à laquelle ça s'est réglé. Sans doute que cela a quelque chose à voir avec la vitesse et la vigueur avec lesquelles vous avez réagi. Mais en même temps, ce règlement ultrarapide en après-midi d'une situation encore très délicate le matin même, cet heureux règlement ne vous dit-il pas que, un: vous vous inquiétez peut-être pour rien, et deux: encore une fois vous y êtes peut-être allé un peu fort dans l'autoflagellation?

Vous, oui. Je ne vous ai jamais suivi dans cette cabale contre vous-même. Dans cette chasse aux morons nationaleux que vous semblez croire plus nombreux au Québec que partout ailleurs sur la planète. Dans cette honte que vous faites ponctuellement rejaillir sur vous avec une délectation suspecte et avec cette obstination des vieilles putes qui se couvrent de boue avec l'air de croire qu'elles seront plus belles après, quand les croûtes seront tombées. J'ai chaque fois envie de vous dire de laisser tomber, le B'nai Brith fait cette job-là mieux que vous ne la ferez jamais.

Ce que vous dites sur la nation, dans ces occasions-là, me désole chaque fois. Dans votre bouche, nation et plus encore nationalisme, sont devenus des mots détestables. Vous confondez tout, nation-nationalisme-nationaleux. Le nationalisme canadien, pourtant le plus bêtement cocardier de l'univers, vous sied. Alors que le nationalisme québécois, oh là là quelle horreur.

Un imbécile ou un petit groupe d'imbéciles exclut deux formations de la fête nationale du Québec parce qu'elles s'exécuteraient en anglais et dans l'instant vous protestez. Bravo. Parfait. Très sain. Mais dans le même instant vous vous grattez votre âme québécoise au sang, et ça, c'est malade. Ce mépris de vous-même, du moins envers une partie de vous-même, ce mépris est pervers, maso.

Je vous le dis en pleine face, vous êtes des fuckés de la nation. Même si vous ne les avez pas lus, vous êtes empoisonnés par ce que Trudeau, Mordecai Richler, Esther Delisle, Nadia Khouri ont dit du nationalisme québécois et du nationalisme en général. Allez relire plutôt ce qu'en disent Hannah Arendt ou Fernand Dumont.

On est loin de l'incident de départ? Oui, mais on est tout près de cette honte qui remonte et vous étouffe au moindre incident.

Dans tout le Canada et à Montréal même, des militants anglophones - petits cousins des susnommés - confondent délibérément, scandaleusement, à longueur d'année, nationalisme québécois et national-socialisme et ça ne vous dérange pas trop.

Vous, oui. Pour moi, vous m'excuserez, mais j'aime mieux ne pas me gratter de cette maladie-là dont vous souffrez tous un peu. Immigrant mal intégré tant que vous voulez. Colonisé, ça me ferait chier.

Vous, oui.

Quand il m'arrive (souvent) de dire nous, c'est ailleurs que j'ai mal. Un exemple? Je l'ai relevé dans ma chronique de samedi mais évidemment, sur ce genre de truc, vous n'allumez pas vite, disons moins vite que lorsqu'un moron nationaleux moronne. Bref, moi c'est quand je lis dans mon journal la lettre d'un lecteur qui commence par: Au Québec, nous célébrons la créativité que j'ai mal. Et même un peu honte.

La vie en une minute et demie

L'autre matin, avant d'aller au bureau, je me suis dit: tiens, c'est presque sur mon chemin, je vais aller monter la Covey Hill, ça fait mille ans que je ne suis pas allé rouler par là. Covey Hill est un tout petit village, à l'ouest de Hemmingford, sur le chemin de Covey Hill parallèle à la frontière avec l'État de New York. Curieuse côte qui monte trois kilomètres mais qui ne redescend pas; en haut, tu restes en haut sur un plateau bucolique émaillé de vergers jusqu'à Franklin. Après, tu reviens. J'avais laissé mon auto à Havelock, au coin de la 203 et de la 202, un peu avant j'arrête pour pisser. Je suis en train de pisser, un pick-up s'arrête en plein milieu du chemin: Pierre?

Un gars s'avance, la main tendue. Je remballe mon truc, je lui tends la même main, il l'a prise pareil. Les gars, on est comme ça. Tu ne me reconnais pas?

Non.

Patrick. Je suis allé chez toi, il y a 20 ans. J'avais 19 ans. Tu venais d'écrire tes reportages sur la Colombie, la dope, Cali, Medellin. Je m'en allais en Colombie, je voulais faire des reportages, tu m'avais donné l'adresse d'une fille que tu connaissais à Bogota, Bourgeteau, je crois...

Sylviane, oui. Pis?

Pis rien, la vie comme tu dis, la vie a passé. Je me suis marié, j'ai travaillé comme un fou, j'ai eu une petite fille qui a 6 ans aujourd'hui, je viens de divorcer, j'ai une terre dans le coin, un verger. Toi ça va? Toujours à La Presse?

Toujours.

Bon ben salut, là. Il est remonté dans son truck. Je suis remonté sur mon vélo. Il est resté derrière moi un moment. Puis il m'a doublé avec un petit coup de klaxon.

Salut Patrick.