Il y a ceux qui aiment Lance Armstrong. Il y a ceux qui le détestent. Et il y a ceux, je crois les plus nombreux, dont je suis, qui des fois le hayiiiissent et des fois saluent bien bas l'athlète exceptionnel, le coureur incroyable qu'il est toujours, même après trois ans de retraite.

Hier, j'ai adoré Armstrong pour une autre raison encore: son amour du vélo. Souvent les athlètes professionnels ne sont que cela: des professionnels qui font une job. J'en ai même connu de très grands qui méprisaient carrément leur sport. Ils auraient voulu être des vedettes dans autre chose. Je pense à Carl Lewis et à l'athlétisme. J'en connais d'autres qui, sans détester leur sport, en ont tant pâti, en ont gardé tant de bobos et le souvenir de tant de souffrances que, à la retraite, ils ne veulent plus rien savoir d'un vélo, d'un canot, d'un javelot, d'un match de hockey ou de foot. Parmi eux, beaucoup d'anciens coureurs cyclistes.

Armstrong, lui, est fou malade de vélo. De la machine elle-même, qu'il a toujours bichonnée comme aucune de ses fiancées. Du peloton, dont il a été si longtemps le patron. De la course dont, j'aime le rappeler, il a une rare intelligencealors que, à ses débuts pros, il était un des plus nonos...

Des gens m'ont écrit après l'étape de Verbier, dans laquelle il s'est fait décrocher: vous allez voir, il va abandonner. Jamais. Ulcéré de s'être fait clencher, sans doute. Ce Tour de France, il y était retourné pour le gagner; il ne le gagnera pas. Ni celui-ci, ni un autre. Il reste quand même un des quatre ou cinq meilleurs coureurs au monde. Toujours cette intelligence de la course et, cela paraissait hier, toujours cet immense plaisir de courir.

Hier, il m'a tiré des larmes ou presque. Regarde-le donc aller, le vieux sacrament!

Qui ça? Armstrong? s'interrogeait ma fiancée, qui n'y comprenait plus rien. Mais il n'est pas devant!

Non, il n'est pas devant. Il est juste un petit peu trop juste pour être devant. Mais regarde-le s'amuser avec Wiggins, il va l'attaquer. Tiens, qu'est-ce que je t'avais dit?

Il a attaqué Bradley Wiggins - qui le menace pour une place sur le podium - avec un kilomètre à faire dans le col de la Colombière. Puis, il s'est jeté dans la descente en kamikaze alors qu'au Tour d'Italie, quand on lui a demandé quelle était la plus grande différence entre l'Armstrong d'avant et celui de 2009, il avait répondu: la peur. Aujourd'hui, il m'arrive d'avoir peur dans les descentes. La peur? Il a fondu sur Klöden, qu'il a même lâché dans les derniers hectomètres. Cinquième de cette magnifique étape de montagne.

Une étape qui s'est déroulée exactement comme prévu, mais c'est pas pour ça qu'on s'est ennuyé. La neuvième de Beethoven, y a pas de surprise non plus, pas de suspense, tu sais que ça va finir par L'Ode à la joie. Pas de surprise, mais c'est grandiose pareil. Hier, c'était ça: la neuvième de Beethoven avec des pédales, une Ode à la joie, au vélo, aux vallées et aux montagnes.

Les frères Schleck ont fait le show comme prévu. Accompagnés par Contador, qui a pris leur roue, hyper facile, si on peut parler de facilité sur le genre de mur qu'est le col de Romme. Accompagnés aussi par Klöden - c'était moins prévu, surtout moins facile. Et Armstrong s'est fait un peu larguer comme prévu aussi.

Ce qui n'était pas prévu? Que Sastre, le vainqueur du Tour de l'an dernier, finirait à sept minutes, Sastre qui non seulement roule n'importe comment, mais qui n'arrête pas de dire des imbécillités. Le coup d'accélérateur de Contador à deux kilomètres du sommet n'était peut-être pas prévu non plus, ni très bien exécuté. Tu te retournes pas au bout de 30 mètres avec l'air de dire: j'y vais ou j'y vais pas? Hé, ho, amigo, c'est pas un tango.

Ce qui était prévu, par contre, c'est que Contador ne disputerait pas la victoire aux frères Schleck. T'as le maillot jaune, tu vas probablement gagner le Tour, les deux autres ont fait la job, alors tu fais pas chier, tu leur laisses le dessert. C'est ces petites choses-là que j'adore dans le bicyk.

À moins d'une défaillance de Contador dans le Ventoux samedi, le Tour 2009 est fini. Pour le podium, on ne sait pas encore. Armstrong pourrait y retrouver sa place ce soir, à l'issue du contre-la-montre d'Annecy. Avec assez d'avance pour résister aux Schleck, samedi? Je le souhaite, mais j'en doute. Juste pour vous aider à faire vos paris, sur 15km à Monaco, on avait, dans l'ordre: Cancellara, Contador, Wiggins... Armstrong était 10e.

OUVRE UN PEU LA FENÊTRE - Vous êtes quelques-uns à avoir deviné que je ne déborde pas d'admiration pour un des commentateurs du canal Évasion. Mais puisqu'il est notre hôte, j'ai pris sur moi de rester calme et courtois. Vous dire quand même que ce n'est pas facile tous les jours. Hier, tiens, j'ai beaucoup souffert. C'était pendant sa longue dithyrambe sur le président Sarkozy - qu'on a vu sur l'étape du Grand-Bornand: ah mon vieux, quel formidable président, tellement sportif, tellement vélo, tellement Tour de France...

Et mon cul, monsieur Chose? Chirac aussi était très Tour de France et grand ami de Jean-Marie Leblanc, l'ex-patron du Tour. Alors que Mitterrand, pas du tout. Comment ça? En fait, c'est pas Sarkozy et Chirac qui sont Tour de France, c'est le Tour de France qui est tellement de droite, tellement ultralibéral dans son inspiration, ou plutôt dans son absence totale d'inspiration, le Tour de France qui est tellement la caricature d'un État autocratique que, bien sûr, cette caricature d'État fait rêver les potentats. Bien sûr que Sarkozy se sent chez lui au Tour de France, bien sûr qu'il allait se montrer sur le parcours de l'étape très attendue du Grand-Bornand. D'ailleurs, le Petit Borné au Grand-Bornand, c'est d'un naturel...