Bienheureuse Priscilla Lopes-Schliep. Pauvre Perdita. L'une exultait sur la piste, embrassait la Jamaïcaine qui venait de la battre par si peu. L'autre avait déjà disparu. L'une se drapait dans la feuille d'érable et s'amusait à prendre des poses de poupoune pour les caméras.

Dieu sait où était l'autre à ruminer une autre déconvenue.

Priscilla est sortie de ses blocs comme un coup de canon; si je ne craignais pas de retourner le fer dans la plaie, je dirais qu'elle est sortie des blocs comme Perdita à Athènes en 2004, mais sans s'enfarger dans la première haie. Elle s'est tout de suite retrouvée en avant, au coude à coude jusqu'au fil avec la Jamaïcaine Brigitte Foster-Hylton.

La médaille d'or s'est jouée sur trois centièmes de seconde. La Canadienne, médaille d'argent, en sandwich entre deux Jamaïcaines.

Tout cela par une magnifique soirée d'été, devant une foule moins calamiteuse que la veille, mais tout de même dans un stade plus qu'à moitié vide.

En demi-finale, Priscilla Lopes-Schliep avait gagné facilement sa vague, en laissant l'impression qu'elle pouvait faire mieux, mais que ce n'était pas encore le moment. Restait deux heures avant la finale, période que les athlètes passent généralement à se détendre puis à se réchauffer tout doucement sur la piste d'entraînement. Sauf qu'un événement tout a fait inattendu a perturbé cette routine, Priscilla a été appelée pour un contrôle antidoping.

Pardon! Mais je vais courir la finale tout à l'heure!

La procédure est complètement inhabituelle et ridicule: pourquoi ne pas attendre après la finale? Ce n'est pas une heure qui va changer quelque chose. L'erreur a été reconnue plus tard et des excuses présentées; reste que Priscilla a dû s'exécuter. Quand tout a été terminé, il restait sept minutes avant d'aller en piste pour la finale!

Le bon côté de la chose, nous a raconté Priscilla, c'est que cet incident m'a fait oublier mon trac.

Et Perdita, me direz-vous, qu'est-il «encore» arrivé à cette pauvre Perdita?

On l'a vue se désunir tout de suite après le départ. Les coureurs de haies sont des machines d'une extrême précision que le moindre incident dérègle, Perdita avait l'air d'être en train de traverser un champ de mines en courant.

Photo: Reuters

Priscilla Lopes-Shliep

Il lui est arrivé des crampes tout simplement. Elle nous a raconté sa mésaventure bien calmement, pas trop déçue, résignée en fait. «Cela m'est venu entre la demie-finale et la finale. Des crampes dans les mollets. Il n'y avait rien à faire. J'ai même songé à ne pas me présenter. Vous m'avez sans doute vue me donner des grandes claques sur les mollets à la ligne de départ. Ça n'a rien arrangé. J'ai accroché la première haie et j'ai passé les autres comme j'ai pu.

- On va vous revoir sur une piste d'athlétisme?

- Absolument.»

On peut la croire. Cette fille-là a, en elle, une course à finir. Vous savez laquelle. Celle d'Athènes. Des Championnats mondiaux, ce n'est pas assez de toute façon. Une réhabilitation entière passe forcément par des Jeux olympiques. Ce sera à Londres. Elle a 29 ans, le temps presse un peu, mais elle tiendra jusque-là, elle l'a déjà dit à un confrère de Toronto. Honte à ceux qui en doutent même une seconde.

Bon, maintenant la question qui tue. Je vous ai entendu la poser, ne niez pas, je vous ai très bien entendus; vous avez dit «toutoune» en voyant Priscilla Lopes-Schliep à ligne de départ, et plus tard quand elle courait avec le drapeau canadien. Vous avez dit toutoune.

Je vais vous exliquer; mais d'abord vous dire qu'elle a 26 ans, qu'elle vient de Scarborough, qu'elle a étudié en sociologie à l'Université du Nebraska où son mari termine ses études de dentiste. Elle s'est mariée l'an dernier et elle est de nature heureuse.

La bonne humeur légendaire des toutounes?

C'est vrai qu'elle a des bonnes joues. C'est vrai qu'elle a un physique spécial. Les coureuses de haies sont toutes en muscles. Priscilla exagère un peu, ce n'est pas que du muscle, c'est une maladie en fait. Elle s'en est expliquée souvent. Elle souffre de lipodystrophie, un dérèglement qui peut affliger les enfants de parents diabétiques. «Toutes mes tantes du côté de mon père sont bâties comme moi», a-t-elle répété chaque fois qu'on a fait allusion à son look.

Reste que cela n'explique pas comment un char d'assaut peut passer par-dessus les haies sans les écraser; il faudra, j'imagine, le demander à son entraîneur au Nebraska.

Je vous rappelle qu'elle a gagné la médaille de bronze à Pékin. Le croiriez-vous, jusque-là elle n'avait aucun commanditaire, même pas pour ses souliers. Cette médaille d'argent aux Mondiaux va lui valoir d'être enfin traitée comme une athlète d'élite, notamment sur le circuit européen.

Elle vient de connaître une saison exceptionnelle, (deuxième temps mondial, 12,52), elle a collectonné les podiums, première à Stockholm et Doha, deuxième à Monaco, troisième à Hengelo, en plus de s'imposer à ces Mondiaux.

Comment on dit cocorico à Scarborough? Et au Nebraska?

Et là, tout de suite, qu'allez vous faire? lui a-t-on demandé.

Une bonne fois, il y en une qui va nous répondre une cochonceté et on va tous rester bêtes. «Là, tout de suite, je m'en vais manger de la pizza et de la crème glacée», nous a-t-elle dit avec un air de défi.

Comment vous appelez ça, déjà, madame? Lipodystrophie? Ah bon.

Photo: Reuters

Qu'est-il encore arrivé à cette pauvre Perdita, dernière?