Dans ma chronique de samedi, qui touillait le glauque, je me résignais d'avance à me faire crier des noms. Merci de ne l'avoir pas fait. Et même le contraire... Je ne vous hurlerai pas dessus, m'écris Sophie B., prof d'allemand à l'Université Bishop. Au contraire, je vais ajouter que René Girard, dans son essai sur le bouc émissaire (1), précise que ce qui est reproché à celui que l'on ostracise et persécute n'est pas le fait d'être différent, mais le fait de ne pas l'être du tout : l'absence de différence là où on s'attendait à en voir une... Votre image des motards est donc une parfaite illustration des théories de Girard.

(Pour mémoire, j'avançais que la répulsion souvent hystérique qu'inspirent ici les pédophiles aux criminels «ordinaires», et par extension à la population «ordinaire» en général, participait (peut-être) d'une volonté de tuer le monstre... en eux.)

Toujours en marge de cette chronique, mais tout à fait dans son esprit, cinq ou six lecteurs ont osé témoigner d'expériences dissidentes qu'ils ont vécues ou dont ils ont été témoins.

D'abord ce monsieur gai qui a vécu ses premières expériences sexuelles avec un adulte alors qu'il était, lui, au tout début de l'adolescence. Cela s'est très bien passé, raconte-t-il sobrement : loin d'avoir été traumatisé, je garde de cette initiation un souvenir attendri.

Christine, elle, se souvient que, en deuxième secondaire, S. est arrivée dans sa classe, petite Européenne dont le papa avait été muté ici. Rapidement on s'est liées, raconte Christine, on s'écrivait nos vies pendant les cours de latin. Un jour, elle m'avoue que son papa lui a déjà inséré deux doigts dans le vagin. Je suis devenue folle de rage. Je me rappelle lui avoir balancé que son père était un pédophile, que sa place était en prison, tu en seras traumatisée à vie, l'avais-je avertie. Elle osa me répondre alors que pour l'instant elle n'était nullement traumatisée et qu'en plus, elle n'avait pas détesté.

La fin du courriel de Christine : je n'en démords pas, bien entendu, son père était un ignoble connard. Reste que, beaucoup plus tard, me souvenant dans quel état cette confidence m'avait mise, je me suis posé une curieuse question : se pourrait-il que ma réaction ait causé à S. plus de dommage que son papa?

Je suis un honnête père de famille de 33 ans, trois enfants. Ma femme est resplendissante, je touche du bois en le disant : nous sommes toujours très amoureux. La première fois qu'on a baisé, sur l'acide, elle venait tout juste d'avoir 13 ans. Je n'étais pas majeur non plus, mais quand je me souviens de nos ébats, je peux vous affirmer que sexuellement nous l'étions, majeurs, la tendresse en plus. C'est signé Fred.

Des voix qui dérangent parce qu'elles disent tout bas des vérités qu'on n'entend jamais? Que ce soit bien clair : pas une foutue seconde. La vérité, largement documentée, c'est que les vieux messieurs qui initient les petits garçons sont presque toujours de vieux salauds. L'inceste est toujours ou presque accompagné de violence, de chantage, de mensonge. Et les gamines de 13 ans, aussi délurées soient-elles, sont toujours des enfants.

Si ces voix déviantes dérangent, c'est bien évidemment parce qu'elles banalisent l'inadmissible. Et c'est bien ce qu'on va m'écrire : monsieur le chroniqueur, vos exemples banalisent l'inadmissible.

Je vous répondrai en rougissant que c'était un tout petit peu mon intention. J'insiste : un tout petit peu, vraiment pas beaucoup. Le dosage, ici, est très important.

J'ajouterai que la banalisation si décriée dans ce monde, où la banalité est pourtant l'ultime référence culturelle, la banalisation, donc, à dose homéopathique bien sûr, est un excellent remède à l'hystérie.

Rappelez-vous de l'inscrire sur ma tombe : c'est lui qui a inventé le remède contre l'hystérie.

TOUT-À-L'ÉGOUT - Rien à voir. Ce que je trouve extraordinaire des blogues, c'est que la plupart, comme les égouts, drainent la marde par des canaux souterrains et qu'ainsi rien n'affleure à la surface. Sauf quand les wannabe, les pain in the ass qui sévissent dans les blogues ont une communication importante à faire à l'univers. Alors ils remontent à la surface, comme celui-là qui a adressé l'autre jour à tous les chroniqueurs de l'hémisphère Nord un courriel pour leur enjoindre de prendre connaissance, de toute urgence, d'un texte sur les graves problèmes de sécurité que posent la burqa et le hijab.

J'ai été incroyablement poli. Bonjour monsieur, voudriez-vous avoir la gentillesse (et la civilité) de me retirer de votre liste d'envoi. Je vous remercie d'avance.

Sa réponse : voir la réalité en face et prendre note de la vérité (sic) c'est pas votre fort, vous, hein ? Dites-moi, seriez-vous payé pour vous fermer les yeux et ceux des autres en même temps ?

C'est ce que je vous disais : le problème, avec les égouts, c'est que des fois ils débordent.

SOUVENIR ÉMU DE PICOTTE - Pierre Montreuil, monteur de structures d'acier, me dit qu'il vient d'aller installer six grosses poutres d'acier pour remplacer le pont sur la rivière aux Brochets, au chemin Cook, à Stanbridge East. C'est votre coin, ça, non ? Magnifique.

Oui monsieur, mon coin. Et ce chemin Cook, un de mes sentiers de vélo. Le pont est fermé depuis un an ou deux, mais les cyclistes pouvaient l'emprunter en slalomant entre les blocs de béton qui en interdisaient l'accès. Les gens du hameau Riceburg y avaient installé en plein milieu une table à pique-nique, les enfants continuaient d'y pêcher... Franchement, je l'aimais mieux fermé qu'ouvert, mon vieux pont de fer. Il paraît qu'il est à vendre. Il gît pour l'instant sur le bas-côté du chemin. Avoir des sous, je le ferais enterrer dans mon champ rien que pour faire une blague aux archéologues qui le déterreront dans 6000 ans : hé, venez voir, une structure de pont ! Y avait une rivière ici ! Ils feraient des fouilles pour trouver des squelettes de poisson, tomberaient sur le squelette de mon Picotte. Un poisson-chat ! Qu'est-ce que ça peut être niaiseux, un archéologue.

(1) René Girard, anthropologue français. Le bouc émissaire, Livre de poche, collection Biblio, essais.