Il a fait gris toute la journée comme si la nuit avait commencé à tomber quand le jour s'est levé. Gris et doux, beau temps pour une de ces randonnées d'arrière-saison qui vous laisse l'impression de voler du temps à l'hiver et aussi, un petit peu, à la mort. Tu peux pédaler tant que tu veux, me lancent parfois les gens, tu vas mourir pareil. Nonos! Ce n'est pas pour ne pas mourir, c'est pour vivre encore.

Je suis allé au «plus beau spot du monde». Où allez-vous? m'a demandé le douanier américain. Vous imaginez sa tête si j'avais répondu: To the corner of poetry and geography, sir.

Quand cela fait longtemps que je ne suis pas passé par là, j'ai un pincement juste avant d'y parvenir: et si on me l'avait volé, mon plus beau spot du monde? Je ne sais pas, moi, si un avocat new-yorkais avait racheté la ferme et était en train de la rénover «Nouvelle-Angleterre», ou en train de creuser un lac artificiel dans la prairie en face, ou d'y aménager un parcours équestre. Le pire: qu'un paysagiste ait commencé à changer l'équilibre des volumes de ce paysage parfait. Non attendez, le pire: une BM dans la cour. Non attendez, plusse pire encore: l'inévitable mur de pierres.

Ouf, tout était comme la dernière fois. Le tracteur dans la cour. Le rouille délavé des vieilles briques de la maison de ferme plus émouvant encore que dans mon souvenir (la même couleur que les murs de Rome). Rajout de saison: les citrouilles sur la galerie. Agglutinées dans le coin de la prairie, les jersey aux croupes crottées.

Intact aussi, le sentiment d'enfermement. Le plus beau spot du monde est refermé sur lui-même; cerné qu'il est de tous les côtés par la forêt, il n'ouvre sur rien. Il y a des psys à l'écoute? Alors juste pour vous: mon spot est un concentré de beauté dans le creux d'une dépression.

L'idée m'est venue d'amener ici une classe de deuxième secondaire, des 13-14 ans, et de leur commander un devoir de composition française. Faites 100 lignes sur la beauté.

Les enfants font-ils encore des «compositions françaises» à l'école? On disait aussi des rédactions. Est-ce que je me trompe ou est-ce qu'on les amène aujourd'hui très tôt à la dissertation, je veux dire à discourir avant de savoir écrire?

Remarquez, je ne suis pas sûr que la composition française ait tant que cela appris à écrire aux enfants. Vous êtes allé à la pêche avec votre papa, racontez en 100 lignes.

Mais monsieur, je ne suis jamais allé à la pêche avec mon papa.

Alors faites 100 lignes sur l'automne.

J'ai écrit des dizaines de compositions françaises sur l'automne, toutes très mauvaises, mais c'était pas grave, je les écrivais pour d'autres qui me les échangeaient contre un devoir de math, un lance-pierre, un harmonica, un billet de cinéma, même une fois un rendez-vous avez Gisèle Grosmère, la petite rousse du bout de la rue. La tête qu'elle a faite quand elle a su que je l'avais eue en échange d'une composition française sur l'automne. Elle est devenue, elle aussi, une de mes clientes à compositions françaises; mais n'allez rien imaginer: pour les petites rousses c'était gratuit (ça l'est toujours).

Même pas 20 kilomètres plus loin, j'ai repassé la douane, la canadienne cette fois. Depuis combien de temps êtes-vous parti?

Une heure et demie.

Vous ne rapportez rien?

Mes échanges avec les douaniers canadiens sont devenus très prosaïques depuis qu'ils portent des vestes pare-balles et sont armés. Si vous êtes revenu récemment au Canada par un des petits postes qui jalonnent la frontière entre le Vermont et le Québec, même les plus modestes, les moins fréquentés, vous avez dû noter qu'on avait ajouté des barrières et des chicanes qui donnent à Morses Line, ou Abercorn, ou East Richford, des allures de Check Point Charlie.

Je vous ai demandé si vous rapportiez quelque chose?

De la beauté, monsieur. Plein.

Le truc

Les jeunes gens de Projet Montréal, le parti de Richard Bergeron, ne sont pas contents de ma chronique de mardi. Je disais pourtant souhaiter la victoire de leur candidat, ajoutant il est vrai: «Même si c'est un joyeux tata, même si c'est l'homme d'une seule idée.»

Plusieurs s'étonnent douloureusement: vous étiez le dernier, dans les médias, dont on attendait un coup bas.

Je vois, jeunes gens, qu'il y a un petit truc que vous ne savez pas à propos des médias. Un petit truc sur lequel les journalistes de tous les grands médias occidentaux s'entendent, qu'ils soient économistes, sportifs, artistiques, de droite, de gauche, écolos, fédéralistes, indépendantistes; ils s'entendent tous sur un truc, celui-ci: les gens qui croient que le 11 septembre 2001 a été orchestré par Washington sont des imbéciles (au mieux).

Dans Les Québécois au volant, c'est mortel, paru en 2005, page 104, M. Bergeron doute très, très fort de l'existence des deux autres avions, celui qui s'est écrasé sur le Pentagone et celui qui s'est écrasé en Pennsylvanie. M. Bergeron conclut: «Il se peut que ce fameux 11 septembre 2001, nous ayons été simplement (simplement!) témoin d'un acte de banditisme d'État aux proportions titanesques.»

Depuis, M. Bergeron nous a dit qu'il a changé d'avis. Soit. Tout le monde peut s'amender. Mais vous vous demandiez, jeunes gens, ce qui n'a pas cliqué avec les médias. C'est ça.

Mardi j'ai répété aussi, après d'autres, qu'il était l'homme d'une seule idée (fixe); ce disant, je ne faisais pas référence au 11 septembre. Je me suis pogné avec M. Bergeron en 1999. Il avait sorti à l'époque une énorme brique, Le dossier noir de l'automobile, qui n'est pas un livre mais un réquisitoire complètement déjanté contre l'automobile. Comme il insistait beaucoup pour que j'en parle, j'ai fini par l'envoyer chier.

Que cela ne vous empêche surtout pas de l'élire. C'est après qu'on va rire.

PARLANT DE RIRE - Sur la vaccination, on se rappellera que j'ai dit que j'allais me conduire en bon petit soldat. On me dit d'aller me faire vacciner?

Yes, sir!

Une petite comique, Marthe Courchesne, a trouvé beaucoup mieux:

Yes, mon adjuvant!