Ce dimanche de mi-novembre avait des douceurs de mi-septembre. Rendu au village, j'avais déjà ôté mes gants, ma tuque et dézippé mon polar. À mes oreilles, l'ex-blonde de Dylan, Joan Baez, chantait La Complainte de Rutebeuf: ne convient pas que vous raconte, comment me suis mis à honte, en quelle manière...

Tu n'écoutes donc pas le silence? me dit-on parfois en me voyant avec mes trucs sur les oreilles. Ça dépend. En novembre, quand il n'y a plus rien, j'aime le creuser avec des voix douloureuse comme celle-là, celle aussi de Joni Mitchell. J'ai une liste de chansons de novembre avec Camille, Feist, Barbara... rien que des filles.

J'ai pris le chemin Ten-Eyck, un de mes préférés même s'il finit mal: devant le parking de L'Orpailleur, sur la route des vins, enfin désertée par les touristes à ce moment-ci de l'année. Ten-Eyck, donc, sur moins de 5km, un rappel du Jura suisse, ou même de l'Italie du nord quand on descend de Gênes vers la plaine du Pô par de semblables vallons plantés de vergers et de vignes.

Le chevreuil, une femelle, gisait sur le travers du chemin. Ses viscères se répandaient par une grande déchirure dans le ventre, entre les pattes arrière. À quelques pieds de la bête, deux femmes se tenaient embrassées. Je vis que l'une pleurait.

Je peux faire quelque chose?

Je reconnus mes voisines, la mère et la fille. Mario, le père, était là aussi, qui s'affairait autour de l'auto. C'était arrivé 10 minutes auparavant. Le chevreuil avait surgi, bang. L'auto avait dérapé, fauchant la boîte aux lettres avant de s'échouer dans l'entrée de la maison en face. Le chevreuil: mort. L'auto: scrap. La fille: rien. Elle avait appelé ses parents, qui avaient accouru.

Les gens de la maison où cela s'était passé étant absents, le père était à rédiger un mot pour leur expliquer. Les agents de la faune viendraient ramasser la bête. La jeune femme sanglotait toujours. Je suis reparti. Joni Mitchell avait succédé à Baez, varnished weeds in window jars...

Douceurs de mi-septembre peut-être, mais la noirceur m'a surpris à quatre heures et demie comme à la mi-novembre. Je suis rentré par des paysages infusés de nuit.

Ma fiancée écoutait les nouvelles à RDI.

C'est quoi, les nouvelles?

Y en a pas. Toi?

La fille de Mario a frappé un chevreuil sur Ten-Eyck.

L'ÉTHIQUE - En faisant le ménage sur mon bureau, j'ai fait la découverte d'un long communiqué de la Ville de Montréal daté du 12 décembre 2008. Il y a un an tout juste. Avant que toute cette merde s'abatte sur l'hôtel de ville. M. Claude Dauphin, président du comité exécutif, annonce dans ce communiqué l'implantation prochaine d'une ligne éthique pour les employés de la Ville.

De quoi s'agit-il?

De dénonciation des malversations? Des copinages douteux? Des croisières? Des contrats d'asphalte? Des compteurs d'eau? Tout ça?

Pas du tout, du tout, du tout. Du-tout.

La dénonciation qu'on encourage ici est celle entre petits employés municipaux, genre: Mme X a encore pris son vendredi après-midi sans que son chef de bureau signale son absence. D'ailleurs, lui aussi a pris son vendredi après-midi. Ou encore: M. Y. vole du papier pour son imprimante. Ou encore: j'ai surpris M. Z en train de se faire une ligne de coke dans les toilettes.

Cette éthique-là.

Il faut bien commencer quelque part.

LE TEXAS - Quand Michael Ignatieff est apparu dans le décor, j'ai vu un Trudeau en moins insolent, légèrement à gauche (malgré sa position sur l'Irak et son dérapage sur la torture). Bien sûr, il gouvernerait légèrement à droite, mais décemment, sans trop sabrer dans le social, dans la culture, sans toucher au droit à l'avortement, bref, un politicien au centre, comme les Canadiens, gens raisonnables, les aiment.

Ciel! Vous avez vu le sondage dans La Presse de samedi? Seulement 18% des Canadiens trouvent que M. Ignatieff ferait un bon premier ministre. Trente-cinq pour cent préfèrent Stephen Harper.

Ciel encore, j'ai soudainement mal à mon Canada.

Je niaise. Je ne peux pas avoir mal à une partie de moi qui n'existe pas. Je suis quand même grandement surpris. Contrairement à M. Coderre, c'est un pays que je ne détestais pas quand sa capitale était à Toronto. Maintenant qu'il est clair qu'elle est à Calgary, je préfère le Texas. Au moins, il y fait beau.

L'ÉCHEC - Je le disais samedi, au coeur de notre «projet éducatif», il y a la hantise de l'échec. Le refus de l'échec. L'échec perçu comme un épouvantable monstre qui se nourrit de l'estime de soi de vos pauvres petits chéris.

Un étudiant au doctorat en Allemagne - j'ai perdu son courriel, s'il me lit, qu'il me le renvoie pour ne pas qu'on m'accuse de l'inventer - me raconte qu'il est appelé à corriger des travaux d'étudiants, correction supervisée par un maître qui a une conception de l'échec très différente de la nôtre.

Devant une copie presque passable, le maître réfléchit tout haut: à la limite, on pourrait faire passer celui-là. Ce ne serait pas scandaleux, mais on lui rendra un meilleur service en l'obligeant à revoir sa matière.

L'échec envisagé comme stratégie d'apprentissage. L'échec porteur d'enseignement. Cela vous paraît tordu? Pas à moi. Peut-être parce que je n'ai jamais mieux appris qu'en me plantant.

UN DÉBAT STIMULANT - C'est pas pour me vanter, mais j'ai des lecteurs lettrés. Plein. Ils m'ont tous écrit en fin de semaine. Paraîtrait que Descartes n'a jamais dit: Je doute, donc je suis. Il aurait dit: Je pense, donc je suis. Vous ne me croirez pas, y en a même qui me l'ont répété en latin: Cogito ergo sum.

Juste pour causer, amis lecteurs, d'après vous, pourquoi il a dit ça? À quoi cogitait Descartes quand il a dit je pense donc je suis? À la longueur de la bite des monstres prépaléolithiques? À la défaite des Carabins? On le voit, un autre débat stimulant.