Tous les ans, depuis au moins cent ans, en secret, je prends la même résolution : pas de chicane. Généralement, je tiens bon tout janvier et tout février en évitant les sujets qui fâchent : l'éducation, la laïcité, la délation, les accommodements raisonnables, la droite, la gauche, la consommation, la dictature de la culture populaire, les psys, les nutritionnistes, les directives de la direction de la santé publique comme le casque obligatoire, l'obsession du risque nul. Croiriez-vous que certaines bonnes années, j'ai réussi à me rendre jusqu'au printemps sans un seul tsunami de merde?

Cette année, c'est complètement raté. En partant, mon vieux, paf! Le premier paragraphe de la première chronique de l'année a mis le feu au cul des 12 478 linguistes de la province, qui m'ont tous écrit que j'étais un sale con, avec copie à mes boss. Ce qu'on appelle un départ en fanfare.

J'ai l'air de m'en amuser? C'était mon intention d'en faire un running gag pendant quelques semaines, et puis non. Il y a dans le fossé qui me sépare de cette réforme de l'orthographe une indignation - oh! une toute petite, rien de comparable à celle qui m'étouffe quand il est question de la droite et de la gauche - mais, si petite soit-elle, j'ai toujours choisi de dire mes indignations avant qu'elles ne deviennent des mauvais sentiments.

Donc, dans cette revue de l'année, je rappelais que Michael Jackson est mouru en 2009 ; mouru, parfaitement, déconnais-je, la nouvelle orthographe l'autorise, comme elle autorise ognon ou oignon ou hognon ou hoignon...

Levez la main ceux qui, lisant cela, ont réellement cru qu'on pouvait maintenant dire mouru et qu'on pouvait écrire hoignon. Là, voyez, pas plus de deux ou trois; et encore, ce sont des immigrés bulgares qui prennent ce cours de français presque obligatoire. Leur prof leur a dit de lire aussi Foglia, c'est facile comme tout.

Seuls les linguistes sont sortis de ce premier paragraphe douloureusement consternés. C'est qu'ils m'aimaient, avant, me croyaient de leur côté. Ils m'accusent maintenant de haute trahison, de désinformation, tissu de mensonges et faussetés. Tu auras la décence de corriger, m'intiment-ils, comme si la nouvelle orthographe autorisait désormais le tutoiement.

Je découvre des gens en mission qui disent des choses aussi ronflantes que celle-ci, relevée dans la présentation d'un lexique de la nouvelle orthographe : «Je souhaite que les générations présentes et futures s'approprient les formes modernes et se débarrassent...» Holà, holà! Où tu t'en vas, Obamette, avec tes socquettes et ton discours à la nation?

Ils me font penser - même genre de discours, même genre de mission, même feu dans les yeux, même couteau entre les dents - ils me font penser aux dames de la ligue La Leche, ces intégristes de l'allaitement obligatoire. À mon tour de m'étonner douloureusement : je croyais qu'on était devant une réforme seulement recommandée ; je croyais qu'on avait le choix de téter ou non le petit lait de votre nouvelle orthographe.

L'ayant régurgitée, plaisamment il me semblait, me voilà à affronter des furieux qui, à bout d'insultes - on me dit surtout élitiste, et je trouve que c'est une insulte pire que mon crisse de gros tas de marde d'ours - à bout d'insultes, donc, on m'envoie dans les dents : Saviez-vous que Mme Bombardier aussi est contre la réforme de l'orthographe?

Ah ben, quelle surprise! Est-ce dire que je dois manger des topinambours parce que Mme Bombardier les déteste? Se pourrait-il que je sois contre cette réforme pour des raisons différentes?

De l'aveu même de ses auteurs, la réforme vise à supprimer les anomalies, à régulariser, à ajuster, à rendre cohérente la graphie des mots de la langue française.

N'allez pas plus loin. Je suis, moi, furieusement pour les anomalies. Je les trouve belles, les anomalies. Je les trouve amusantes, les anomalies. Je les trouve bordéliques. En tout, c'est ce que j'aime le plus dans la vie : les anomalies. Alors que vous voulez les enlever. Ce n'est pas léger du tout, comme différend. C'est deux conceptions de la vie.

Une des anomalies que j'aime le plus de la langue française : quelle heure est-il? Je trouve formidable ce «il», et je le trouve plus formidable encore dans «il» pleut. La réforme ne touche pas à cela, je sais ; mais dans son esprit, dans sa logique purificatrice, je sens qu'un jour la réforme va venir me dire qui est ce foutu «il» qui pleut. Je ne veux pas le savoir. C'est le petit Jésus qui fait pipi, c'est tout.

Vous ne manquez pas d'audace de me traiter de puriste quand c'est vous qui faites oeuvre de purification. Votre démarche est une démarche d'intégristes : guérir. Débarrasser la graphie de ses verrues, de ces imbécillités avec deux L. Vous voulez la rendre lisse, logique, cohérente ; c'est bien ce que je dis : vous voulez la purifier.

C'est quoi, la prochaine étape? La grammaire? Et ensuite? Le sens?

Hon! comme j'aimerais travailler avec des experts à une réforme moderne du discours de Nietzsche. Tiens, par exemple, au tout début du Gai savoir, dans son prélude en rimes allemandes, quand il dit : Ma manière et mon langage te séduisent? Tu me suis, tu marches sur mes pas? Ne suis fidèlement que toi-même : et alors tu me suivras.

Ne pourrait-on pas simplifier par «lâche-moi les baskets»? Ou encore «fais donc à ta tête et ton cul sera pas malade»?