J'ai une mauvaise nouvelle pour une presque jeune fille que je connais : le gouvernement du Québec vient d'annoncer qu'il ne recevra plus, jusqu'à nouvel ordre, de demandes d'adoption d'enfants haïtiens.

Deux ou trois jours après le séisme, cette presque jeune fille (12 ans) que je connais bien a dit à sa mère : tu sais ce qu'on devrait faire, maman, au lieu de donner de l'argent? On devrait adopter un petit Haïtien. La mère a aussitôt consenti : je suis prête. Le papa n'a pas dit non. La plus petite (9 ans) renâclait bien un peu, mais c'était quand même 3 à 1 pour le petit Haïtien. Me sont arrivées avec ça le week-end dernier, j'ai fait mon rabat-joie : holà, les filles, ne vous emballez pas. Si vous voulez vraiment un petit Haïtien, ne pensez pas deux ou trois mois, pensez deux ou trois ans.

La décision du gouvernement de ne plus recevoir, pour l'instant, de nouvelles demandes d'adoption pour Haïti confirme que ce sera aussi long qu'avant. La recommandation vient de l'Unicef, qui redoute un trafic d'enfants comme il s'en est produit en Indonésie après le tsunami de 2004.

Et même s'il n'y avait pas ce commerce honteux, les spécialistes en adoption vous diront que, après un tel choc, l'adoption n'est peut-être pas ce qui peut arriver de mieux aux orphelins du tremblement de terre. Le mieux? Un oncle, un parent que l'enfant connaît un peu. Même une structure d'accueil locale, dans un environnement familier, serait paraît-il préférable pour revenir de l'enfer qu'un dépaysement total, dans un pays de froid, chez un petit couple de Blancs.

Finalement, jeune fille, contrairement à ce que tu penses, c'est peut-être mieux d'envoyer de l'argent. Je sais, je sais, je suis un peu chiant comme grand-père.

PROCÉDURE - Parlant cette fois des dossiers d'adoption déjà en cours - ne vous mélangez pas avec ce qui précède -, cela a soudainement débloqué aujourd'hui. Un contingent de 80 à 90 enfants doit arriver au Canada aujourd'hui, peut-être même est-il arrivé la nuit dernière.

Hier, à NBC, on a vu un avion plein d'orphelins atterrir à Pittsburgh. Au Canada, c'était parti pour niaiser longtemps. On voulait bien accélérer, mais dans les règles, dossier par dossier. J'imagine que quelqu'un a mis son poing sur la table : on amène les enfants, on s'arrangera pour les papiers après.

On le félicite.

LE COEUR - Pour la place que devrait faire le Canada, ce grand pays riche et vide, aux sinistrés haïtiens, pour des mesures beaucoup plus libérales qui faciliteraient la réunification des familles au sens haïtien de la famille, pour tout cela, dont traitait Rima Elkouri dans sa chronique de mercredi, je partage largement son impression : le Canada semble vouloir ouvrir son coeur beaucoup plus grand que sa porte.

DIEU - Ce n'est pas du tout un reproche (comment cela pourrait-il en être un?), n'empêche que, encore une fois, nous venons de renouer avec le Tragique - si absent de nos vies canadiennes -, encore une fois par miséreux interposés.

Encore une fois, nous avons eu l'onde de la secousse sans être secoués - je veux dire sans les décombres. Une semaine après le séisme qui fera entre 100 000 et 200 000 morts, nous sommes toujours riches et en santé. Dieu nous aime.

Deux cent mille morts ! C'est tellement déraisonnable qu'on se met à penser à n'importe quoi. Savez à quoi j'ai pensé? J'ai pensé - je l'avais lu quelques semaines avant, je ne sais plus où - j'ai pensé qu'Ariel Sharon est toujours vivant.

LA VIE CONTINUE, COMME ON DIT - Elle essaie, du moins. Nous sommes à trois semaines des Jeux olympiques ; je tente de mettre à jour mes notes sur le curling et le bobsleigh, sans grand enthousiasme, franchement.

La vie continue. J'entends ici et là qu'on commence à se lasser de l'exemplaire couverture médiatique - exemplaire, parfaitement, du moins là où je la prends (Radio-Canada, les grandes chaînes américaines, La Presse). Mais bon, les habituels pourfendeurs de médias viennent de décréter que c'est trop, et même assez. La vie continue, quoi de neuf?

Ah, ben tiens, parlant de journalisme, l'émission Enquête reprend son héroïque odyssée ce soir. La bonne nouvelle, c'est qu'on n'entendra plus cette promo de merde qui nous annonçait le retour de l'émission, une promo toute à l'image de son animateur : Êtes-vous de ceux qui n'ont rien à se reprocher? À ceux-là, l'émission Enquête souhaite une très bonne année. Hé, Chose, j'ai plein de choses à me reprocher et tu sais où tu peux t'les mettre, tes voeux?

Quoi d'autre dans l'actualité? Ah oui, cette autre histoire de violence au hockey, dénoncée par qui? On croit rêver : par Patrick Roy ! C'est un peu comme si un Hells venait vous faire la morale parce que vous avez volé une pomme. Et la décence, bordel?

BONHOMME DE NEIGE - J'arrive du fond du bois. Je me demandais si le bonhomme de neige était toujours là. C'est la presque jeune fille, celle dont je parle au début de cette chronique, celle qui veut adopter un petit Haïtien, qui l'a fait dimanche. Juste une tête qu'elle a modelée sur une souche de bouleau. Pour les yeux, elle a pris deux petites crottes de chevreuil.

Donc, hier, je suis allé voir s'il était encore là. J'approchais de l'endroit, j'entendais des cris comme un enfant qui joue. Vous ne me croirez pas, il y avait un petit négrillon, 3 ou 4 ans, qui dansait autour du bonhomme de neige. C'est la première fois que je vois ça dans ce bois-là, un mercredi après-midi. C'est étrange, vous ne trouvez pas?

Qu'est-ce tu fais là, négrillon? Il me répond par une question : Où est ma soeur?

Ta soeur? Ah oui, ta soeur. Qu'est-ce que tu penses, elle est à l'école. On n'a pas que ça à faire, nous, les tremblements de terre.