Je ne suis pas déçu d'Obama. Un petit peu quand même. Si j'étais son prof, j'écrirais dans la marge : peut faire mieux.

En fait, un an après, je ne sais pas trop ce qu'il en est de ses promesses. J'ai perdu de vue Guantánamo. Je ne suis pas très au courant des règles financières qu'il voulait imposer ni de l'ensemble de ses réformes économiques. Je comprends que, en perdant la majorité au Sénat (l'élection d'un sénateur républicain mardi dernier au Massachusetts), il perd aussi presque toute chance de mener à bien la réforme qui lui importait le plus : celle de la santé. Je suis pas d'accord avec son engagement en Afghanistan mais, en même temps, j'ai retrouvé dans le discours d'Oslo - quand on lui a remis le Nobel - le penseur affûté qui nous console tant de Bush le quasi-analphabète.

Peut faire mieux? Pour dire vrai, je ne m'attendais pas à plus que ça. Je ne m'attendais pas, par exemple, à ce qu'il amène le premier ministre d'Israël, M. Nétanyahou, à cesser la colonisation en Cisjordanie. Non seulement il n'y est pas arrivé, mais il s'est fait rabrouer comme un gamin.

En passant, il n'est pas parvenu non plus à s'imposer en Iran.

Peut faire mieux, c'est ça.

Je ne suis pas déçu de l'Amérique non plus. Je n'ai jamais perdu de vue qu'elle est foncièrement de droite. Je devinais que, en se donnant un président noir progressiste, elle allait régénérer, dans l'opposition, ce discours de droite justement, lui redonner le mordant et la pertinence qu'il avait perdus avec M. Bush.

Je ne suis pas déçu d'Obama, je ne suis pas déçu de l'Amérique. Je me plains seulement de ce que les choses prennent tant de temps à changer, voilà de quoi je me plains. Et j'ai tort bien sûr. Ce n'est pas que les choses soient si lentes, c'est que la vie passe si vite. Et la mienne arrivant à sa fin, j'ai l'impression que je vais partir en laissant plein de casseroles sur le feu.

Qu'est-ce que ça peut bien te faire? me direz-vous. Depuis 50 ans que tu tiens cette chronique, tu nous dis que tu ne crois en rien, alors que les choses changent ou pas, tu vas mourir et puis voilà, qu'en as-tu à foutre?

Vous connaissez l'histoire du type qui ouvre la porte du frigo et qui est foudroyé par un infarctus en se penchant pour prendre la bouteille de jus? Sa femme le trouve agonisant sur le plancher de la cuisine. Il lui fait signe de se pencher : chérie, faut changer la petite lumière du frigo, elle est brûlée. Et là-dessus, il meurt. Je pourrais très bien être ce type-là. Je ne crois en rien pour après. Pour avant, je vais me soucier de la petite lumière jusqu'à la dernière seconde.

Pour revenir à Obama, ou plutôt pour revenir au changement, je ne peux pas être déçu parce que c'est comme ça : les choses ne changent pas parce qu'on a élu un Obama pour les changer, elles changent quand elles sont prêtes à changer. Quand elles sont mûres. C'est assez épouvantable, comme constat. Cela veut dire que, au fond, Obama ou Bush, c'est pareil. Une administration menée par des progressistes intelligents ou une administration menée par des crétins presque criminels, c'est kif-kif bourricot. Oui, il y a bien 30 millions d'Américains qui n'ont aucune protection médicale, mais il y en reste 270 millions qui n'en ont rien à cirer.

J'exagère. Peut-être même que je déconne. La réforme de la santé aux États ne se fera pas sous Obama, mais le débat a fait avancer un peu les choses. Alors que ces mêmes choses reculaient sous Bush. Les choses changent quand elles sont mûres, mais elles mûrissent plus vite quand on les éclaire.

Pour revenir à ce que je veux vraiment vous dire : ça fait chier d'être vieux parce que la mort viendra plus vite que le changement. Je vais mourir et les Israéliens continueront à construire des colonies en Cisjordanie. Je vais mourir et on n'aura toujours pas tenu de concours d'architecture à Hérouxville pour la construction d'une mosquée. Quand je vais mourir, Sarah Palin sera dans son second mandat et l'avortement sera désormais jugé comme un assassinat. Dans le dernier roman traduit en français de Philip Roth, qui se passe en grande partie le jour de la réélection de Bush en 2004, une jeune femme annonce : c'est bien simple, s'il est réélu, je me fais avorter.

T'es même pas enceinte, s'étonne son mari.

M'en fous, je vais me faire avorter quand même.

Je ne vous dis pas que je n'ai rien vu changer depuis que je suis né, mais de vrais changements? Qui toucheraient l'âme des choses? Comme la fin de la faim? Comme une organisation mondiale des citoyens dont le siège social serait au Mozambique? Comme une éducation gratuite - et ici, je ne parle pas d'abolir les droits de scolarité, je parle de gratuité d'intention, d'une éducation qui ne serait pas liée au marché, une éducation qui ne produirait pas des producteurs? Je sais, je sais, on vise tout le contraire...

Au bureau, quand j'y vais, je fais face ou presque à une toute jeune collègue. Jeudi, on parlait de je ne sais plus quoi quand elle m'a balancé : c'est pas grave, j'ai toute la vie devant moi. C'est le truc qu'on dit quand on a 30 ans, qu'on est éternel et qu'on croit qu'il suffit que le temps passe pour que les temps changent. Les temps ne changent pas tant que ça. Je ne vous dis pas que je n'ai rien vu changer depuis que je suis né, mais c'était des petits changements, comme le téléphone à cadran, comme les ventilateurs au plafond, comme le clafoutis aux cerises - qui a complètement disparu, on se demande bien pourquoi -, comme l'orthographe, comme le dimanche - oui, le dimanche : quand j'étais petit, à la maison, le dimanche, c'était du lapin. Maintenant, c'est n'importe quoi ; même du poisson, l'autre fois.