À l'est du centre-ville, entre le port et le quartier chinois, Downtown Eastside s'étend bien au-delà des quelques rues où s'aventurent parfois les touristes et souvent les journalistes. Un bon sujet. En fait non, un sujet obligé. L'envers de la carte postale de Vancouver, mais carte postale tout de même. Downtown Eastside, c'est Vancouver tout autant que Stanley Park, ou le pont suspendu Machin, ou le musée d'anthropologie.

C'était, dans les années 70, un quartier populaire plutôt sympathique où cohabitaient travailleurs du port, marins et immigrés chinois. Des logements pas chers, de nombreux petits hôtels... Ça s'est gâté on sait quand et comment : quand le centre-ville s'est développé. Quand le développement se fait très, très vite, il produit des déchets qu'on n'a pas le temps de recycler. Ça prend alors une grande poubelle. Downtown Eastside est la poubelle de Vancouver. Le conteneur, si vous préférez.

Le pire n'est peut-être pas l'héroïne que se shootaient une petite grappe de junkies hier, vers midi, au coin de Gore et Hastings, dans la cour d'un garage désaffecté. Deux fliquesses sont passées à bicyclette sans rien voir, ou plutôt sans regarder. Le pire : la maladie mentale. Cela fait deux ou trois fois que je remonte Hastings avec le même sentiment de traverser la cour d'un asile dont les malades se seraient mutinés.

Peut-être que le mot-clé du Downtown Eastside n'est pas héroïne mais désinstitutionnalisation. C'est arrivé dans les années 90. En vidant les asiles, ils ont rempli les petits hôtels, devenus trous à rats à 5 piastres la nuit. Aujourd'hui, 15 $, comme au célèbre et sinistre Balmoral, 350 si tu la prends au mois, m'a dit le Chinois.

Je passais par là pour aller aux Jeux olympiques de la pauvreté, qui avaient lieu dans l'auditorium d'une école japonaise. Une parodie de Jeux, évidemment, avec une fausse flamme, un faux M. Rogue - ici, jeu de mots avec le nom du président du CIO, Jacques Rogge -, et vous ne serez pas surpris d'apprendre que la seule épreuve de ces Jeux était le lancer de la pierre à tout ce qui grouille autour des Jeux.

Quelques centaines de personnes assistaient à la chose. Peu de vrais spectateurs. C'était aussi, surtout, les Jeux olympiques du travailleur communautaire. Il a beaucoup été question de logement social à cette manif. Quelqu'un est venu nous expliquer qu'avec 2 milliards, le tiers du budget des Jeux, on pourrait construire 12 720 logements sociaux. Pourquoi pas 12 721 ? Je ne pourrais pas vous dire, il a dit 12 720 avec l'air fatigué de quelqu'un qui avait passé la nuit à calculer.

Je me suis ostiné avec un type de la Citywide Housing Coalition. Regarde, Chose, on va dire qu'il n'y a pas de Jeux à Vancouver : il n'y aurait pas non plus 2 milliards pour le logement social.

Il m'a traité de journaliste accrédité. Tu défends ta game...

Justement, je la connais, la game. Le problème des Jeux, partout où ils sont tenus, n'est pas d'empêcher le logement social, le problème des Jeux est d'avoir subordonné le sport à la business olympique. Et tu ne vas pas être content d'entendre ça, ces gens-là vous ressemblent un peu : vous êtes dans la business de la pauvreté comme eux dans la business olympique. Vous fabriquez un discours, une idéologie - en fait, vous fabriquez un monstre et, après, vous passez votre temps à le nourrir.

Les Jeux de Vancouver, plus que d'autres sans doute, seront ponctués de nombreuses manifestations contre la guerre, contre la malbouffe, contre les armes, et contre... les Jeux.

Vancouver - pas la Colombie-Britannique - Vancouver est pas mal gogauche, avec un maire hyper-cool, beau comme tout, qui s'est fait élire en faisant notamment campagne sur le logement social, qui se déplace à bicyclette, qui vient de refuser la voiture GM qu'on voulait lui imposer pendant les Jeux, optant plutôt pour une hybride, peut-être bien même une japonaise...

Des manifestations officielles, donc, mais la vraie opposition aux Jeux est ailleurs, diffuse dans le fond de l'air. Une fatigue, la fatigue habituelle des villes olympiques après des années de travaux, de détours. Et la grogne suscitée par un éventuel déficit. Montréal a payé son stade pendant des siècles ; Vancouver devra peut-être payer pour son village olympique.

Il y a aussi cette irritation grandissante - this local negativity, ai-je lu dans The Province hier - non pas à l'égard des Jeux, mais de cette machine olympique arrogante qui impose ses commanditaires comme le ferait la mafia : enlevez-moi cette annonce de Pepsi (les Jeux, c'est Coca Cola), ce panneau Honda (les Jeux sont GM). Un citoyen qui, pour s'amuser ou provoquer, installerait une pancarte Pepsi sur son balcon pourrait recevoir la visite de la police. La police!

Et cette petite histoire qui irrite les Vancouvérois ces jours-ci : du 30e étage de leur résidence, au Village olympique, les Australiens font flotter une immense bannière qui représente un kangourou, un truc plus sympathique qu'un drapeau mais que le COVAN veut faire enlever parce que cela porte ombrage à l'affichage officiel, aux anneaux et à toute la quincaillerie olympique. Les Australiens ont refusé d'obtempérer. Les Vancouvérois sont avec eux. Ce matin, la bannière était toujours là.

Je disais une mafia.

Je n'ai pas attendu la fin des Jeux olympiques des pauvres. J'ai continué ma route vers l'est, sur Keefer. De jolies petites maison, un temple bouddhiste. J'ai marché jusqu'à Commercial Drive, la Drive, comme ils disent, un mélange du boulevard Saint-Laurent, de l'avenue du Parc et de la rue Saint-Denis des bobos des années 80. Juste avant, sur Venables, la Gelateria Italia, une institution vancouvéroise, 218 sortes de crème glacée, la meilleure de Vancouver, paraît-il. J'espère que c'est pas vrai parce que c'est plutôt moyen. J'en ai essayé plusieurs, dont une franchement dégueulasse au gorgonzola avec de la poire et des amandes.

Voilà, on se reparle jeudi.

PRÉCISION - C'est pas commencé et j'ai déjà à m'expliquer. J'ai parlé de l'absence du français à l'intérieur de la bulle olympique, et non pas à Vancouver. Vancouver parle anglais, chinois, pendjabi et allemand avant de parler français, c'est son droit. Je parlais dans ma chronique d'hier des sites officiels des Jeux. Le français est une des langues officielles des Jeux. Et le français est une des langues officielles du Canada. Deux raisons officielles d'avoir du service en français sur les sites officiels. Je disais qu'après deux jours - dans la bulle olympique - j'avais rencontré un bénévole (1) capable de parler français. Aujourd'hui, j'en ai croisé une autre. Ça fait deux.