Mes premiers Jeux d'hiver, c'était à Innsbruck en 1976, l'année de Montréal.

À l'époque, les Jeux d'hiver et d'été avaient lieu la même année. En fait, c'est Denver, au Colorado, qui avait obtenu les Jeux de 1976, mais il s'est passé un truc que tout le monde a oublié, et c'est bien dommage, je trouve, parce que le ciel olympique s'était alors illuminé d'un éclair de lucidité qui ne s'est jamais reproduit. Irrités par la facture qui n'arrêtait pas de gonfler, les gens de Denver ont exigé un référendum: pour ou contre le financement des Jeux par les fonds publics? Contre à 60%.

C'est comme ça que Denver a rejeté les Jeux après les avoir obtenus et que je me suis retrouvé à Innsbruck. C'était sympathique, Innsbruck, des Jeux chaleureux qui duraient une semaine, à l'époque: 37 épreuves. Il y en aura 86 à Vancouver.

Je ne suis pas retourné à des Jeux d'hiver avant ceux de Turin, en 2006. Zéro ambiance, à Turin. J'ai adoré. Et me voilà à Vancouver. Il est 6h du matin, je suis sur le pont Granville qui enjambe False Creek. J'ai rendez-vous avec un monsieur dans une boulangerie de Granville Island, qui est juste en dessous du pont. Fait doux. C'est la nuit. Y a pas un chat, sauf un joggeur qui s'en vient. Je regarde les lumières des bateaux dans la marina, en bas.

Le joggeur s'arrête à ma hauteur. Ça va? Euh... oui. Ah! non, non, non, c'est gentil de vous inquiéter, non, je ne vais pas me jeter en bas. Je m'en vais acheter des croissants à La Baguette et l'échalote.

Ils étaient très bons, d'ailleurs, et les petites brioches aussi. Le monsieur que j'attendais m'a fait visiter l'école dont il est le directeur adjoint, après je suis allé chez les Chinois à Richmond.

Non, non, je ne pense pas du tout au suicide, c'est juste que je me demande ce que je fais ici, à des Jeux d'hiver. Je ne connais rien aux sports d'hiver. Je n'ai jamais regardé une descente de ski de ma vie. Le patinage artistique, j'aimerais ça, comme sport, mais sa culture de salon de coiffure me tape. Je m'intéresse au ski de fond une fois tous les quatre ans. Alex Harvey, je l'appelle Pierre comme son père. Je ne sais pas comment on écrit Ole Einar Bjorndalen. C'est qui? Ah bon, vous non plus, vous ne connaissez rien aux Jeux d'hiver. Vous me rassurez. Je vais pouvoir écrire n'importe quoi.

Le hockey? Les filles sont hyper-fines, mais tous leurs matches sont plates, sauf un. Et puis y a Clara Hughes. Elle est extraordinaire, mais on est 2000 à se l'arracher. Elle va porter le drapeau demain et elle disait: je ne sais pas comment je vais faire pour me moucher. Ce drapeau, faut le tenir à deux mains, et je vais pleurer et morver comme une vraie folle, ça va prendre quelqu'un exprès pour marcher à côté de moi et me moucher. Du bonbon, Clara Hughes. Mais savez de quoi on parle, au patinage de vitesse, ces jours-ci? On parle de la fille qui va battre Clara Hughes au 5000 mètres (et Kristina Groves au 3000 m). Elle s'appelle Martina Sablikova. Elle est tchèque. Savez ce qu'on m'a répondu quand j'ai demandé qui est cette fille? On m'a répondu: c'est Geneviève Jeanson. Une toute jeune fille avec un entraîneur-gourou. Pas sûr que j'ai envie de replonger...

LES FRANCOS - Les francos d'ici sont différents de ceux de la Saskatchewan, de l'Alberta ou du Manitoba. N'ont pas cette mentalité «dernier carré», sont pas du tout Louisiane. Sont pas des survivants. Font leur trou comme les autres immigrés. Sont 60 000 en Colombie-Britannique, la moitié à Vancouver. La plupart envoient leurs enfants à l'école française.

Je suis allé en visiter une, toute neuve, 22 millions, une petite merveille d'école secondaire et primaire, l'école Jules-Verne et la Rose des vents dans la même bâtisse. Un gymnase de rêve, salles d'art, de musique, de médias (un ordi pour chaque élève!). Une école publique, absolument. Minoritaire ne rime pas toujours avec grosse misère.

LA VIRTUALITÉ - Je dis souvent dans cette chronique que je suis vieux. C'est pas à vous que je le dis, c'est à moi, pour que je le sache. Des fois j'ai pas besoin de le dire, ça me frappe en plein front, vous n'imaginez pas. Cela se manifeste toujours de la même façon: une soudaine et abyssale incompréhension d'une situation donnée.

Hier, par exemple, dans cette école dont je viens de parler. Dans un bureau, une prof était en train de donner un cours en ligne à des élèves qui étaient, j'imagine, à la maison ou ailleurs. Je demande à la prof: c'est un cours de quoi? Je vous le donne en mille: un cours de plein air!

DES JEUX VERTS - Portrait express du jeune directeur adjoint de l'école, Laurent Brisebois, qui me recevait. Trente-trois ans, sa madame est flic, deux jeunes enfants. Ils habitent Squamish, sur la route de Whistler, à 80km de l'école, 160 km par jour pour aller travailler.

Pourquoi ne pas habiter le quartier de l'école?

Parce que je n'en ai pas les moyens, me dit-il. Dans le coin, les maisons valent 1 million, pas loin.

Pas vraiment un quartier chic. Le look de Brossard, de Sainte-Julie. Le boulevard Cambie, à trois coins de rue de l'école, est une pure horreur. Le boulevard Taschereau, à côté, c'est les Champs-Élysées.

Nous sommes ici 3000 journalistes qui allons tous faire au moins un papier sur les Jeux verts de Vancouver. Je vous pose la question à vous, qui êtes très au fait de la chose écologique: que peut-il bien y avoir de vert dans une ville que ses habitants ne peuvent plus habiter parce qu'elle est trop chère? Et qui doivent faire 200km par jour pour aller y travailler?

LES CHINOIS - Richmond, à 20km de Vancouver, est une petite ville chinoise prise entre deux bras de la rivière Fraser - c'est la rivière où vont frayer les saumons, quand il y en a. Richmond abrite le joyau de ces Jeux, l'anneau du patinage de vitesse. Tu sors du métro et t'as une hallucination: tu penses que t'es encore aux Jeux de Pékin. Ici, le Chinois grouille comme à Pékin. Pour être juste, le Chinois ne grouille pas, le Chinois n'est pas un bol de nouilles. Le Chinois est 2 milliards, mais un par un, et sans se toucher. Le Chinois est à Richmond comme en Chine: indifférent à son prochain.

Tu sors du métro, l'enseigne de la Banque de Montréal est en chinois seulement, l'enseigne du Canadian Tire aussi. Tu entres dans le centre commercial Parker Place, tu es le seul Blanc, et non, les Chinois ne te regardent pas. Je viens de vous le dire, vous n'écoutez pas: le Chinois se contrecrisse de toi.

J'ai mangé une soupe incroyable. Le Chinois est un maître soupe.

Je suis allé me promener le long de la Fraser, large comme le Saint-Laurent à Matane. Un peu plus loin, il y avait des champs où des oies bouffaient des restes de trognons de chou. L'été, c'est des champs de choux.

RÉJEAN EST ARRIVÉ - J'ai quitté mon hôtel du centre-ville pour celui, accrédité, qu'on nous a assigné, un Days Inn tellement loin dans l'Est que je me demande si on est encore en Colombie-Britannique. C'est un peu comme si on était à Mascouche. Ma fenêtre donne sur le parking d'un McDo. Je viens de voir Réjean dans le hall. J'étais pas sûr, fait longtemps que je l'ai vu, il a un petit peu grossi: «Foglia, tabarnak, on a-tu fait le tour de la Terre pour finir dans un trou comme ça?» C'est bien lui.