Le Grand Prix du Canada ne fait pas partie du calendrier définitif de la prochaine saison de Formule 1. Montréal a été remplacée par Istanbul, dont le Grand Prix est la propriété de Bernie Ecclestone.

Remarquons toutefois qu'il y a exactement quatre semaines entre le Grand Prix de Hongrie et celui de Valence, en Espagne. On parle de la période entre le 26 juillet et le 23 août. Il y aurait donc un week-end qui pourrait permettre la présentation d'un 19e Grand Prix que les écuries ne veulent pas.

 

- Ou bedon Bernie Ecclestone se sert du Grand Prix du Canada pour bluffer les constructeurs, et Montréal et Normand Legault sont les victimes de cette autre bataille menée par Ecclestone pour forcer tout le monde à lui verser d'autres dizaines de millions...

- Ou bedon Bernie Ecclestone fait disparaître le Grand Prix du Canada pour forcer les gouvernements à venir à la rescousse de M. Legault en injectant une douzaine de millions par année pour faire le poids devant la concurrence internationale...

- Ou bedon le moment est venu de réaliser que Montréal n'est plus qu'un gros Fredericton et n'est plus capable de rivaliser contre des villes comme Singapour, Shanghai, Melbourne, Valance ou des États-villes comme Bahreïn ou Abou Dhabi, pour qui l'argent ne compte pas.

Si c'est la troisième hypothèse qui est la bonne, alors, on peut dire adieu au Grand Prix du Canada comme on a dit adieu aux Expos ou comme Québec a dit adieu aux Nordiques. Arrive un moment où une ville et un peuple ne sont plus assez gros et forts pour livrer bataille sur la scène internationale.

Toutes les conditions qui ont mené à cette décision de la FIA, une organisation internationale qui est à la botte de Bernie Ecclestone et de Max Mosley, sont inquiétantes. Surtout que le gouvernement Harper est en élections et qu'une campagne électorale se prépare au Québec pour la fin de l'année.

Ce n'est pas la première fois que Bernie Ecclestone fait le coup aux Montréalais. C'est arrivé pour le tabac en 2003 et c'est arrivé en 2007 pour les installations de presse et le paddock. À toutes les fois, Normand Legault s'est battu sur deux fronts pour convaincre les gouvernements et B'wana Be'nie de redonner à Montréal son Grand Prix.

Et on comprend les gouvernements d'avoir toujours aidé Legault. Le Grand Prix du Canada, c'est pas le NASCAR ni une course de bicycles sur le Mont Royal. C'est le plus gros événement au Canada en termes de retombées économiques directes. Ça se situe entre 75 et 100 millions et la visibilité et la crédibilité de Montréal jouissent d'un fabuleux coup de pouce lors du Grand Prix télévisé dans plus de 100 pays dans le monde.

Dans le passé, on a beaucoup joué sur le fait que le Grand Prix était la vitrine idéale pour les constructeurs et les commanditaires dans toute l'Amérique du Nord. Le hic, c'est qu'au cours des dernières semaines, l'ordre économique mondial a été bouleversé. Les constructeurs savent déjà qu'ils devront se contenter d'un marché en régression aux États-Unis pour les cinq prochaines années. L'avenir et le développement sont ailleurs. En Chine, évidemment, et en Inde, où on présentera le Grand Prix de New Delhi dans un an. La Corée est également en attente.

L'Amérique demeure un marché très important, mais un voyage à Montréal sans ajouter un détour aux États-Unis est moins vital qu'il ne l'était il y a même quatre ou cinq semaines.

Il y a le fait que Normand Legault, promoteur du Grand Prix du Canada, se bat contre des promoteurs qui sont des gouvernements ou des villes. Legault ne peut rivaliser avec le gouvernement chinois, avec le gouvernement turc, avec le gouvernement australien, avec le gouvernement de Singapour, avec Petronas, la compagnie de pétrole étatique de la Malaisie, avec les courses disputées dans les pays ou les sultanats du Moyen-Orient, des courses noyées par les petrodollars.

Qu'on pense que Valence, en Espagne, a signé un contrat de sept ans qui va rapporter à Ecclestone près de 75 millions de dollars à la dernière année. On est à des années-lumière des 18 millions environ payés par Legault à Montréal.

De plus, les installations de l'île Notre-Dame, quand on les compare à celles des nouveaux Grands Prix disputés dans les pays émergents, font très pic pic. Ça fait campagnard, disons. En fait, ça nous rappelle que Montréal devient un gros Fredericton.

Je n'ai pas parlé à Normand Legault hier. M. Legault est en Allemagne avec sa famille. Un voyage de vacances de plusieurs semaines.

Mais j'ai longuement discuté avec le maire Gérald Tremblay, avec le ministre responsable de Montréal Michael Fortier, avec d'autres leaders politiques et avec plein de contacts dans le milieu.

Normand Legault est donc en Allemagne. Mais avant de partir, il a demandé des soumissions pour refaire l'asphalte du circuit Gilles Villeneuve. Selon une source, il a préparé son prochain Grand Prix comme si tout était normal. Surtout qu'il a un contrat valide jusqu'en 2011 avec Ecclestone et la Ville de Montréal. Mais on sait qu'un contrat de B'wana compte toujours des échappatoires.

Gerry Frappier, président de RDS, a lui aussi négocié un contrat jusqu'en 2011 avec Ecclestone. Il a obtenu une légère baisse pour les premières années tout en garantissant à B'wana un solide réseau jusqu'à la fin du contrat. Mais sans un Grand Prix du Canada, Frappier va se retrouver avec un produit dévalué à vendre à ses commanditaires.

En temps normal, Normand Legault serait rentré à Montréal dès hier après-midi. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il ne se sentait pas prêt à affronter les médias et les politiciens. J'ai appris que M. Legault négociait depuis des mois avec Ecclestone pour tenter de maintenir le prix des redevances à un niveau raisonnable pour le marché québécois. Il avait laissé percevoir son inquiétude et une certaine lassitude depuis plusieurs mois à ses proches.

Un assistant de Legault, Paul Wilson s'est rendu à Paris hier après-midi et devrait rentrer à Montréal ce midi pour tenir un point de presse. Wilson, selon mes sources, a discuté avec Legault hier matin et son patron était d'une humeur massacrante.

Il est certain que les gouvernements fédéral et provincial sont prêts à intervenir dans le débat. La position officielle de Michael Fortier, qui ne sera peut-être plus ministre dans une semaine, c'est qu'un gouvernement responsable ne peut laisser tomber un événement comme le Grand Prix du Canada. Si on aide les manufacturiers, on peut aussi aider ceux qui «fabriquent» du tourisme au pays: «Mais je ne peux négocier contre moi-même. Il faut au moins que Normand Legault nous revienne avec les exigences de Bernie Ecclestone. On pourra se pencher sur le problème à ce moment là», a-t-il dit.

Mais quand on parle à d'autres ministres, et à M. Fortier également, on voit un autre problème poindre à l'horizon. Si les gouvernements deviennent de véritables partenaires à hauteur de 12 ou 15 millions par année, ils voudront avoir accès aux livres de Normand Legault. Or, c'est une des grandes forces de M. Legault, de garder son jeu de cartes pour lui et d'affronter ses adversaires avec trois as au moins dans sa main.

L'autre problème, c'est que les lobbies sont féroces au Québec. Ils sont contre. Point. Ils sont contre. Et un gouvernement qui coupe dans la culture peut-il se permettre de verser une dizaine de millions pour sauver un Grand Prix? Je n'ai pas osé déranger Josée Verner pour obtenir une réponse.

Et enfin, il y a la grande question. Normand Legault est-il fatigué de ce cirque sans fin qui l'oblige à monter aux barricades pour satisfaire les caprices d'un bientôt octogénaire milliardaire qui n'en a jamais assez?

Si Normand est écoeuré, alors c'est officiel. Nous sommes un gros Fredericton!