La fenêtre s'est refermée. Dans les affaires, ou parfois dans la vie, il y a une fenêtre qui s'ouvre. Un marché devient possible, un amour peut naître, une transaction au hockey peut être conclue.

J'ai eu la très nette impression, hier à Tampa, que la fenêtre s'est refermée pour plusieurs mois. On a assisté à une très belle performance de récupération d'un désastre par Brian Lawton, le directeur général du Lightning de Tampa Bay.

Remarquez que Vincent Lecavalier, bouleversé par tout ce qui s'est passé au cours de la dernière semaine, peut toujours exiger un échange qui l'enverrait le plus rapidement possible dans une organisation où les propriétaires ne trahissent pas leurs promesses. Sinon, Vincent va rester un Lightning jusqu'à la prochaine crise.

Hier, le scénario prévoyait deux actes. Un premier acte mettant en vedette Vincent Lecavalier qu'une vingtaine de journalistes de Tampa Bay attendaient dans le vestiaire et un deuxième braquant les projecteurs sur Brian Lawton.

Lecavalier a été fidèle à tout ce qu'il a dit depuis le début de la semaine. Les traits tirés par trois nuits écourtées par les réflexions et les émotions, la voix fatiguée, il a répété que, dans sa tête, c'est à Tampa qu'il allait passer toute sa carrière. «J'ai commencé à 18 ans et je viens de signer un contrat de 11 ans. Je me suis impliqué dans la communauté et mon dernier contrat était comme un mariage pour moi. En plus, ma blonde, Caroline Portelance, vient d'emménager avec moi à Tampa après plusieurs années de fréquentation. Et puis, tout d'un coup, plus rien ne tient», a-t-il dit.

Hier à Tampa, il a confirmé qu'il avait discuté avec Lawton mais, cette fois, il a précisé qu'il avait également jasé avec des propriétaires du Lightning, qui ont fait le voyage en Californie. «Mais ce n'était pas des discussions formelles, officielles. Ils m'ont quand même donné la garantie que je ne serais pas échangé sans être consulté», a-t-il expliqué.

C'est une phrase «de gars» qui exprime le mieux comment se sent le grand Québécois. On s'imagine qu'il devait se sentir trahi, comme le gars qui surprend sa blonde dans son lit avec un autre homme. «Ouais. Pis moi, c'était pendant la lune de miel», a-t-il dit en faisant allusion à ce contrat signé il y a quelques mois à peine.

Encore une fois, Lecavalier a posé des questions sur ce qu'était la vie d'un joueur du Canadien à Montréal. Il faut cependant donner des précisions. Il faudrait demander quelle est la vie à Montréal d'une superstar québécoise jouant pour le Canadien. J'ai vu tous les plus grands depuis les années 70. Jouer pour le Canadien aura été magique pour Guy Lafleur ou pour Patrick Roy, deux stars de la magnitude de Lecavalier. C'est ce que je lui ai dit. En tous les cas, il y a une superbe maison qui l'attend à Montréal puisque Lecavalier a décidé d'avoir les deux pieds au Québec pendant l'été. Pour l'instant.

Pour l'instant, puisqu'il est certain à écouter Lecavalier que les propriétaires du Lightning jonglaient avec l'idée d'échanger leur grand joueur. Comme il est tout aussi évident pour quiconque était à Tampa hier que les réactions des médias et de la communauté des affaires ont vite tempéré les ardeurs des «cowboys», comme on les surnomme dans la région.

Les propriétaires ont eu une réponse qu'ils n'espéraient pas dans cette histoire. Vincent Lecavalier, malgré la présence des Rays en séries éliminatoires du baseball et des Buccaneers au football, est l'athlète le plus respecté et le plus admiré dans le marché de la côte ouest de la Floride. Et pour l'instant, il serait désastreux de tenter de s'en départir pour des raisons financières.

***

Le deuxième acte de la tragicomédie appartient à Brian Lawton. Son objectif était évident. Il fallait calmer les choses à Tampa Bay. D'abord en répétant qu'il n'avait pas parlé une seule petite fois aux médias de Montréal depuis le début de la tempête. Pour vous donner une idée comment on peut manipuler la vérité, Renaud Lavoie, de RDS, a appelé Lawton trois fois sans qu'il ne le rappelle. J'ai également tenté de joindre Lawton, sans succès. Et on me dit que d'autres journalistes de Montréal ont voulu obtenir son point de vue. Mais ça paraît bien dans une conférence de presse, surtout quand on ajoute que «Vincent est sans doute le joueur francophone le plus populaire dans le monde et que le Canadien célèbre son 100e anniversaire et que c'est un rêve d'imaginer Vincent dans l'uniforme de l'équipe». Diminuer le messager pour étouffer le message, toutes les firmes de relations publiques connaissent la recette.

Lavoie lui a d'ailleurs dit sa façon de penser après le point de presse.

En conférence de presse, Lawton a expliqué qu'à peu près toutes les équipes l'avaient appelé pour s'informer au sujet de Lecavalier. Il a ajouté que la situation financière du Lightning était solide et qu'il n'y avait pas de problèmes pour gérer la concession. «Il faut rebâtir l'équipe autour d'un solide noyau par de bonnes sélections au repêchage. Je ne crois pas que ça va prendre quatre ou cinq ans, on peut y arriver plus vite», a-t-il dit.

Lawton n'a pas cessé de tenter de diminuer les rumeurs et les nouvelles qui ont circulé au cours des derniers jours. L'ancien joueur des Nordiques a tenté de noyer toute la crédibilité d'une histoire confirmée par plusieurs sources. Je lui ai souligné qu'il aurait été très simple de mettre fin à toute rumeur en déclarant haut et fort que Vincent Lecavalier n'était pas à échanger: «Je n'ai pas l'habitude de commenter des rumeurs. Je l'ai dit clairement à Vincent il y a quelques jours. Il ne sera pas échangé. Mais je le dis publiquement, Vincent Lecavalier ne sera pas échangé demain, ni la semaine prochaine, ni bientôt (will not be traded tomorrow, will not be traded next week, will not be traded soon). J'ai demandé à Lawton de m'expliquer ce que valait dire soon dans sa phrase. Il a répondu vaguement sans se compromettre avant de conclure qu'il ne pouvait pas s'engager à affirmer que Lecavalier ne serait pas échangé pendant la durée de son contrat.

Le profane se rappellera que Lecavalier, à partir du 1er juillet prochain, comptera sur une clause de non-échange. Ça en dit long sur une organisation qui a fait signer un contrat de six ans avec une clause de non-échange à Dan Boyle, en juillet dernier, pour l'échanger quelques semaines plus tard.

Lawton ne s'est pas compromis sur le noyau qu'il voyait pour rebâtir. Mais il a répondu à un journaliste de Tampa que Vincent Lecavalier remplissait toutes ses obligations comme joueur et comme leader avec le Lightning. «Il devait guérir une sérieuse blessure qui a entraîné une opération. Depuis Noël, son jeu s'est élevé d'un cran. C'est un homme très respecté dans le vestiaire. Ce n'est pas un leader criard mais c'est un leader que ses coéquipiers aiment suivre», a-t-il répondu.

Puis, il a profité de toutes ces caméras de télévision pour passer l'autre message de la journée: «Il est certain que c'est le monde entier qui est frappé par la crise économique mais notre organisation est solide. Nous sommes touchés mais nous avons les ressources pour traverser les difficultés», a-t-il dit.

Il a conclu en répétant pour la troisième ou quatrième fois qu'il n'y avait pas de fondement à ces rumeurs de transaction.

Lawton aurait été mieux de s'entendre avec Lecavalier avant de dire pareille énormité. Quand ton capitaine dort mal pendant trois nuits, quand tu confirmes à ton capitaine qu'il n'est plus un intouchable, quand tu le rassures en lui disant que s'il est échangé, il pourra fournir une liste des trois ou quatre villes où il serait intéressé à poursuivre sa carrière, quand ton capitaine est bouleversé comme s'il avait trouvé sa blonde dans son lit avec un autre homme «pendant sa lune de miel», alors quelqu'un a saboté l'affaire dès le départ.

Mon opinion: une bonne pièce de théâtre compte au moins trois actes. Il en manque un. Cette histoire va rebondir dans moins de deux mois avec la date limite pour les transactions. Ce sera le dernier acte.

Dans le calepin

Les 500 000$ que le Lightning devait payer à Lecavalier hier, le 15 janvier, ont été versés dans leur totalité sur l'heure du midi. C'est un appel de Tampa alors que j'étais déjà sur l'autoroute pour quitter la ville qui me l'a appris. «C'est votre journal qui a sorti l'histoire, j'apprécierais qu'on rapporte que la somme a été payée dans son intégralité», m'a dit mon interlocuteur. Le message est transmis et sachez que Lecavalier a reçu son demi-million. Ce qui devrait l'aider à mieux dormir...