J'ai quand même une certaine expérience des petites histoires de sport. Mettons que j'ai vu passer beau temps, tempêtes, orages et éclaircies.

Je lis les articles de mes confrères, j'écoute la radio et je regarde la télé, je passe à travers les centaines de courriels que je reçois et parfois, quand j'ai six heures à perdre, je parcours les commentaires sur le blogue de François Gagnon.

Les fans sont en colère. Et plus ils sont en colère, moins ils sont capables d'écrire en français. C'est normal, le français est la langue de l'amour.

Ils sont en colère contre Bob Gainey, ils sont en colère contre Saku Koivu, ils sont en colère contre Alex Kovalev, ils sont en colère contre Carey Price et ils sont en colère contre certains commentateurs et chroniqueurs.

Ça fait beaucoup de colère.

Mais j'ai quand même une certaine expérience de la vie. C'est ce que j'expliquais l'autre jour à mon boss. Lui aussi était en colère. Et quand un boss est en colère, c'est dangereux pour un Flanelleux. Faudrait tailler la paresse et la couardise à la hache. Sont comme ça les fans même quand ils sont boss.

Je lui ai rappelé que les fans étaient changeants. Leur colère n'est pas une vraie colère, c'est un mélange de frustration et de peine.

Ça veut dire que le Canadien va finir par participer aux séries éliminatoires. C'est presque certain. La Flanelle joue la plupart de ses derniers matchs au Centre Bell contre des équipes médiocres. À la longue, ça donne un avantage net aux anciens Flying Frenchmen.

Donc, j'ai une certaine expérience. Je l'ai rappelé au boss. Il va arriver quoi dès que le Canadien se sera classé dans les séries éliminatoires?

Les fans vont capoter. En moins de 24 heures, tout Montréal et le Québec vont être fous. Bob va être le sauveur. Jaroslav Halak sera le gardien d'avenir du Canadien, un autre Patrick Roy. Et l'Artiste va sauver une vie grâce à un don à une fondation pendant que Saku va retrouver ses galons de capitaine.

J'ai alors dit au boss: «Y va arriver quoi si le Canadien fait les séries? Tu vas chercher des billets pour tes meilleurs journalistes, tu vas vouloir des unes triomphantes avec la maman de Guillaume, avec le père d'Alex, avec la blonde de Maxim. Tous les fefans de la rédaction vont soumettre des idées géniales de reportages aux sports. Ça fait 50 ans qu'ils s'essaient. Un article avec un curé, je l'ai déjà fait, avec une religieuse qui déménage sa statue de saint Jude d'un côté à l'autre de la télé selon le but du Canadien, je l'ai écrit en 1976, avec une chirurgienne qui transplante un coeur trouvé dans la ville adversaire, c'était Zoé la saison dernière, l'objectif ultime du fefan rédactionnel étant d'assister au match au Centre Bell.»

Le boss savait bien que j'avais raison. Et le boss savait parfaitement qu'en hockey, et surtout avec le Canadien en séries, les règles d'éthique ne tiennent plus. Les grands boss invitent les autres boss dans la loge de La Presse, tout le monde il est partisan et tout le monde il prend pour le Canadien pendant que les pôvres journalistes aux sports travaillent sérieusement, eux.

C'est ça qui va se passer dans la deuxième semaine d'avril. Tout le monde va capoter parce que tout le monde va croire pendant quelques heures que le Canadien aura des chances de gagner quelques séries et peut-être de se rendre en finale de la Coupe Stanley.

C'est pour ça que ça ne vaut pas la peine de faire suite à vos éclats de grosse colère et de grande pepeine tout de suite. Dans un mois, vous allez être sur le gros party devant le Centre Bell et vous allez écouter «en direct» Michou Villeneuve devant le stand de CKAC. Et vous allez taquiner l'humble chroniqueur qui avait choisi le Canadien pour terminer neuvième cette saison et qui s'est donc trompé.

Je vous connais.

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Mais pour que le party fasse oublier la saison merdique que vous avez vécue, il faut que le Canadien gagne quelques matchs. Selon les calculs des grands connaisseurs, la Flanelle doit encaisser 14 points de plus d'ici la fin de la saison. Ça devrait fonctionner. Il y a des matchs contre Toronto, Tampa Bay, Buffalo, Atlanta, Long Island et Ottawa, entre autres, qui devraient engraisser la cagnotte. Et il y a les quelques points «BS» qu'on va glaner lors de défaites en prolongation ou en fusillade, en route vers le 15 avril. Contre Boston, Pittsburgh, New York ou Chicago par exemple. Faites le calcul et ça arrive. On est dedans. Et malheureusement pour mon ami Jacques Martin, ça se pourrait que ce soit ses Panthers qui ratent le coche puisque les Hurricanes de la Caroline disputent huit matchs sur 11 à domicile.

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Une fois la saison terminée, une fois le Canadien éliminé, il sera temps d'aller au fond des choses. Par exemple, faire la lumière sur le congédiement de Guy Carbonneau. Est-ce que c'est George Gillett lui-même qui a paniqué et a donné un coup de téléphone impératif à Bob Gainey. Style «on va rater les séries, on se rendra jamais en finale de la Coupe Stanley avec TON coach, mets-moi ça à la porte». Je recueille depuis quelques jours des témoignages en ce sens et les sources se rapprochent dangereusement du cercle sacré.

Et puis, il faudra aussi faire le bilan du plan quinquennal de Gainey. Disons qu'à part la saison miracle de Carbo avec ses 104 points, ce n'est guère reluisant. Il se peut que l'ineptie de Gainey soit récompensée par une manne inespérée de joueurs autonomes en 2011, quand le plafond salarial va descendre, mais quand on est bon parce qu'on ne fait rien de bien, on mérite tout juste d'être premier ministre d'une province.

Et puis, il y a tellement de questions à poser. Sur le rôle et le poids réel de la présidence de Pierre Boivin, sur le travail de Trevor Timmins et de Pierre Gauthier et sur celui de Bob Gainey, par exemple.

Mais on va attendre puisque le Canadien va participer aux séries et que vous allez capoter. Encore plus que l'an passé et que cette fois, vous allez être baveux et arrogants parce que «vous autres, les vrais fans», vous n'aviez jamais perdu la foi.

Je prends donc mes précautions au cas où. S'il fallait que la Flanelle gagne deux séries éliminatoires par la grâce de Dieu et d'Allah, je pourrai toujours me promener avec une copie laminée de cette chronique...

Go Habs go!