Pour dire la vérité, je rencontrais Pierre Lavoie pour me débarrasser d'une corvée. Nathalie Pétrowski m'avait appelé pour m'en parler. Puis, une jeune relationniste m'avait harcelé pendant quelques semaines. À dire vrai, j'étais tanné. Il m'avait relancé au téléphone pendant que je montais au Saguenay cette semaine.

Jeudi, j'étais au Georges Steak House, à Chicoutimi, que certains rigolos appellent Saguenay, assis devant lui. Je n'avais pas de stylo, pas de calepin de notes. C'est vous dire à quel point ça me tentait.

 

Les yeux vifs, l'enthousiasme contagieux, la voix qui se brise un peu quand il raconte comment sa femme et lui ont vu deux de leurs quatre enfants mourir d'une maladie très particulière propre au Saguenay-Lac Saint-Jean, l'acidose lactique, Pierre Lavoie me parlait droit au coeur. Dix minutes plus tard, je l'écoutais avec passion, j'avais emprunté un stylo à la serveuse et je prenais fiévreusement des notes à l'endos de la serviette de table.

C'est une histoire complètement folle. Le gars a 45 ans. C'est un ancien fumeur invétéré qui traînait graisse et muscles mous. Puis, en 1993, il s'est lancé dans le sport. Le triathlon, la plus dure des épreuves sportives, qu'il pratiquait pour lui. Pour sa satisfaction. Jusqu'à ce que son deuxième enfant, Laurie, meure à 3 ans. Comme ça, en s'éteignant pendant qu'elle jouait dans le salon. Atteinte de l'acidose lactique, une maladie génétique propre à la région. Les enfants meurent à 2 ans, en quelques heures. À bout d'énergie. Un coeur qui s'arrête.

Son coeur à lui s'est serré. Il s'est dit avec sa femme, que ce n'était pas humain. Qu'il fallait faire quelque chose. Il s'était déjà lancé dans l'aventure de l'entraînement. Courant à huit reprises le terrifiant Ironman à Hawaï. Champion du monde dans sa catégorie amateur. C'est quatre kilomètres de natation, 180 kilomètres de vélo et un marathon complet. Mettons que les frères Kostitsyn en arracheraient. Il s'est dit qu'il se servirait de son statut d'athlète de pointe pour toucher les gens.

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À un moment donné, le couple a voulu un autre enfant. Raphaël est né. Les tests étaient négatifs, mais leur instinct disait que ça n'allait pas. Ils ont surveillé sa croissance et son développement avec une angoisse sourde dans le coeur. Puis, un jour, les signes ont dit la vérité. Acidose lactique, il allait mourir dans quelques mois. On fait quoi quand on voit passer les jours en sachant qu'on se dirige vers la fin ? Et la fin n'est pas à 87 ans. Elle est à 750 jours.

C'était trop. Cet homme vaillant qui travaillait chez Alcan a parlé à ses amis et à ses patrons. Identification Sport de Michel Boivin, le premier, a investi quelques dollars pour l'aider. Puis la grosse machine de l'Alcan s'est laissée toucher. Depuis quatre ans, Pierre Lavoie est d'ailleurs libéré à plein temps par Rio Tinto Alcan pour se consacrer corps et âme à la fondation Pierre-Lavoie.

Lui et ceux qui croyaient en lui ont couru des marathons, ils ont organisé des courses longue distance en vélo, ils ont parlé et reparlé de cette terrifiante maladie pour la faire connaître. Il a fait avec les ministres ce qu'il fait avec les journalistes, il a réussi à leur parler et à les convaincre. Il a décroché des fonds qui sont allés à la recherche et au dépistage. Sans jamais ralentir.

Il a organisé une course de 650 kilomètres sans interruption autour du Saguenay et du lac Saint-Jean en impliquant des milliers d'enfants et leurs parents et profs. Tous gagnaient des points en consacrant 15 minutes à une activité physique. Il a réussi à faire bouger des milliers de personnes et à ramasser de l'argent.

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L'argent de la fondation a servi à la recherche. On ne peut pas encore guérir l'acidose lactique mais à compter de juin, un couple qui désire un enfant et dont un des quatre grands-parents est né au Saguenay-Lac-Saint-Jean pourra se rendre dans un CLSC du coin pour subir un test de dépistage. « Quelques jours plus tard, ils auront les résultats. Si un seul est porteur du gène que les chercheurs ont réussi à isoler, pas de problème, faites le bébé. Si les deux sont porteurs, alors, il y a matière à réflexion puisqu'il y a une chance sur quatre que le bébé soit porteur de la maladie et meure à 2 ans. Mais au moins, on pourra avoir une meilleure idée. Et aujourd'hui, grâce à la recherche, on peut identifier le gêne sur un foetus de 10 semaines et arrêter la grossesse si désiré «, dit Lavoie avec passion.

Contagieux, cet enthousiasme. Le Saguenay et le Lac-Saint-Jean, ce n'était pas assez. Avec son groupe, Pierre Lavoie a organisé une formidable campagne dans toutes les écoles primaires du Québec. Ou à peu près toutes. La province a été divisée en 17 régions et les écoles se sont lancées dans la compétition. Il fallait que les enfants pratiquent une activité physique pendant 15 minutes. Et ils pouvaient gagner des points pour gonfler leur total en faisant bouger leurs parents et leurs amis.

Ils seront plus de 5000 gagnants au stade Saputo pour un pique-nique avant de passer au Stade olympique en juin. Le grand stade sera transformé en immense dortoir pour une nuit et la grande fête de l'activité physique connaîtra son point culminant quand Lavoie et des centaines de coureurs cyclistes feront leur entrée dans le stade vers 15 h après avoir roulé pendant... 1000 kilomètres sans arrêt. Évidemment que ces 400 cyclistes sont commandités par des entreprises qui croient en son projet. Même la puissante fédération des médecins spécialistes est embarquée. C'est simple si tous ces jeunes que touche Pierre Lavoie prenaient le goût d'une saine activité physique et d'une meilleure nutrition, c'est 80 % des opérations au coeur qu'on pourrait sans doute éviter dans un demi-siècle. « Il faut parler aux gens, il faut attirer leur attention. C'est simple, la prise de conscience précède la prise en charge. Il faut parler et il faut toucher «, dit-il.

Un exemple. Il a convaincu Chlorophylle, la compagnie saguenéenne qui fabrique des vêtements d'activités extérieures, de construire une sorte d'énorme cube démontable qui permet d'inviter des enfants à faire du vélo stationnaire même à - 40o C. Et des compagnies ont construit des vélos avec ordinateur et écran qui permettent aux enfants de concourir en suivant leurs amis sur leur écran. Comme s'ils étaient les acteurs d'un jeu vidéo. Ils adorent et sont transis de sueur quand il faut leur demander d'arrêter après une demi-heure.

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Voilà. J'ai passé à travers de ma serviette de table. J'en aurais encore des pages et des pages à raconter, mais je n'avais plus de papier pour prendre des notes. Sur la recherche, sur ces maladies rares qu'on néglige dans les subventions, sur les enfants qu'il faut éduquer à l'activité physique et au sport, sur les parents qui doivent prendre conscience, sur la société qui doit penser la société autrement qu'en lits d'hôpitaux.

Mais je présume que d'ici le 14 juin, d'autres vont prendre la relève pour que Pierre Lavoie puisse vous faire prendre conscience à vous aussi...

Le 14 juin, soit dit en passant, il ne faut pas s'inquiéter, la parade de la Coupe Stanley sera déjà terminée.

DANS LE CALEPIN Mercredi, la plus belle équipe du hockey mondial a perdu 4-3 contre l'Océanic de Rimouski. Mes Saguenéens étaient éliminés. Ils se sont bien défendus, ils ont été beaux, nobles, gentils, héroïques, généreux de leur talent et émouvants dans la défaite. L'autre club a été pas pire lui aussi. Mais ce ne sont pas les Sags, qui ont la chance de porter le plus beau chandail de tout le sport organisé au monde. Le tout écrit en toute objectivité, bien entendu.