Marcel Aubut est le nouveau président du Comité olympique canadien. Le premier francophone en 106 ans. Et il a vaincu une adversaire de fort calibre en la personne de Tracia Smith, médaillée d'argent aux Jeux de Los Angeles et habituée du mouvement olympique depuis ce temps.

En plus, Mme Smith est avocate et pratique à Vancouver, là où auront lieu les Jeux d'hiver de 2010.

C'était une grosse bataille pour mon ami Marcel. Chaque fois que j'en parlais avec lui, il me suppliait de ne pas aborder le sujet publiquement pour ne pas effaroucher l'adversaire. Quand Marcel demande qu'on ne parle pas de lui, c'est que la bagarre est féroce.

 

Hier soir, j'ai voulu l'appeler pour le féliciter. Mais la boîte vocale de son téléphone était pleine. Trop de gens qui lui laissaient des messages.

Quand il a fini par rappeler, il était ému. Je connais l'homme, je partage quelques-unes de ses batailles depuis 34 ans. Il venait d'en gagner une grosse et, dans ce temps-là, il n'arrive pas à savourer sa victoire. Parce qu'il est déjà dans l'action du lendemain. Il est comme ça: «Je suis content parce que, avec 62% des votes, ça veut dire que des membres de toutes les régions du pays ont voté pour moi. Et puis, s'ils avaient pensé que j'allais là comme un outsider qui cherchait un titre et la gloire, je n'aurais pas gagné. Mais ceux qui votaient savaient que j'étais engagé sincèrement dans le mouvement olympique», a expliqué Me Aubut pendant la conversation.

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Je peux témoigner. Ça commence pour moi à Sarajevo en 1984. Il y a déjà 25 ans. J'avais réussi à faire entrer Marcel dans la salle de presse des Jeux. Un exploit en soi. Marcel était arrivé avec ses épinglettes des Nordiques et quelques casquettes, et à force d'expliquer qu'il était le propriétaire des Nordiques, il s'était retrouvé avec les journalistes dans le Saint des Saints. Sa fierté, et un exploit qu'il devait répéter à Nagano en 1998.

Un soir de grosse neige molle, il m'avait accompagné à Igman, à une trentaine de kilomètres de Sarajevo, dans les montagnes où se disputaient les courses de ski de fond. Il voulait encourager Pierre Harvey. Cette fois, il n'avait pu forcer l'entrée du village. Il m'avait attendu dehors une bonne demi-heure, le temps que je trouve Harvey et que je l'amène à un Marcel Aubut qui ressemblait à un gros bonhomme de neige dans la nuit yougoslave. Ne vous demandez pas pourquoi Pierre Harvey a appuyé l'avocat de Québec (et de Montréal) dans sa campagne électorale.

Le nouveau président a participé aux 10 derniers Jeux olympiques. À sa façon. Habillé d'une façon très spectaculaire de vêtements rouge Canada, des tuques et des bérets du pays, il fonçait partout où c'était interdit pour arriver à ses fins, encourageait les athlètes de toutes les façons et savourait l'atmosphère des Jeux comme un gourmet hume un mets raffiné. Ou peut-être gourmand, ça dépendait de ses régimes.

À Albertville, il a entraîné Carl Lindros à la Taverne pour tenter de le convaincre de tenir tête à Bonnie Lindros et de permettre à Eric de venir jouer avec ses Nordiques. À Lillehammer, il est entré comme un conquérant dans un restaurant viking et a filé dans la cuisine pour demander au chef «that, that and that». À Nagano, avec ses vêtements Roots écarlates, je pouvais le repérer dans la foule d'un seul balayage du regard. À Salt Lake City, il encourageait et suivait des athlètes qu'il avait aidés avec la fondation des Nordiques ou personnellement.

Il a parcouru le monde en achetant ses billets et en tripant avec son grand ami Jim Cummings, un milliardaire canadien établi à Atlanta, complètement fou de hockey et qui possède des souvenirs qui rendent jaloux le Temple de la renommée.

Les 79 membres habilités à voter à l'élection d'hier ont tous croisé Marcel Aubut quelque part dans une activité des Jeux olympiques. Personne ne peut l'accuser de ne pas aimer son nouvel univers.

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Le nouveau président était déjà engagé dans l'action hier soir: «Il faut entraîner le COC encore plus loin. Oui, il faut gagner plus de médailles; oui, il faut tenir tête aux autres pays du G8 et oui, il faut que les fédérations sportives se surpassent toutes. Et puis il faut faire face aux défis posés par la crise économique et l'après-Jeux», m'a-t-il dit.

Et puis l'expérience a déjà démontré que la seule façon pour les Québécois francophones de ne pas subir de discrimination dans le sport amateur canadien, c'est de diriger sa fédération. Ce fut le cas en patinage de vitesse dans les années 80, quand le Dr Jean Grenier est devenu président de la fédération de patinage de vitesse. Gaétan Boucher et toute l'éclosion des patineurs de vitesse courte piste ont pu compter sur une fédération qui ne les méprisait pas.

Si Sylvie Fréchette et les jumelles Penny et Vicky Vilagos avaient pu compter sur une fédération aussi équitable, leur carrière aurait été différente. Et tellement plus facile jusqu'à l'or.

Il a suffi d'un ministre déterminé et vaillant comme Denis Coderre pour transformer en deux ans le sport amateur canadien; la présidence gagnée hier par Marcel Aubut va payer des dividendes aux athlètes québécois. Ils auront plus de chances d'être traités avec justice. Tout simplement. Parce que le président est conscient de la situation et du problème.

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Le Comité olympique canadien, habitué aux pas feutrés de Mike Chambers, va découvrir le pas volontaire et décidé de Marcel Aubut. On va trouver parfois que les bottes sont grosses. Et cet homme qui a une capacité extraordinaire de convaincre n'a pas fini de bouleverser le quotidien tranquille du COC.

Par ailleurs, et ce n'est pas très important pour le lecteur, cette élection va nous compliquer la vie. Comment on va faire pour rouler une semaine à moto sans aborder les dossiers du COC? On a justement une randonnée prévue le week-end de Pâques à West Palm Beach. Il va mourir d'envie de raconter les péripéties de son élection et il va falloir faire accroire qu'on va tout oublier le lendemain...

Et comment faire une entrevue avec un homme qui est ton ami depuis toujours, envers et contre tout? Commencer par: «Me Aubut, nous savons que vous désirez...» Ben voyons donc, ça ne marchera pas. Surtout qu'il va craindre comme la peste de se faire accuser de favoritisme envers un journaliste ami.

C'est rien, ça. Attendez qu'il se lance à la conquête de la présidence du Comité olympique international...

Non, non, c'était une blague. Du moins, je l'espère.