Le camp d'Équipe Canada à Vancouver est en train de faire perdre la tête à certains de mes confrères. Les médias dans le reste du Canada sont complètement délirants à propos du tournoi olympique et de l'équipe qui va porter les couleurs de la nation.

Y en a même pas loin de chez nous qui ont parlé du plus important tournoi de hockey disputé au Canada depuis la Série du siècle.

On respire par le nez. La Série du siècle, c'était un affrontement entre deux équipes, mais aussi entre deux systèmes politiques et économiques que tout opposait sur la planète. Les joueurs portaient sur leurs épaules le poids d'une philosophie quand ils sautaient sur la patinoire. Ils étaient le prolongement des armées qui se partageaient le monde pendant la guerre froide.

Il s'est dit et écrit tellement de grossièretés et de niaiseries patriotiques des deux côtés qu'on n'arrête pas de publier des livres et de vendre et revendre les vidéos de ces matchs pas comme les autres.

Le Canada, c'était la liberté, les Soviétiques, c'était l'oppression. Et comme le patriotisme permet toutes les imbécillités et les outrances, je peux vous garantir qu'on ne se gênait pas pour en pondre. Les Soviétiques étaient des robots, ils n'avaient pas de coeur, ils puaient et j'en passe; il s'en est écrit de belles chroniques à l'époque!

On comprendra qu'il faut avoir la mémoire bien courte pour comparer ces deux événements. D'ailleurs, compte tenu de l'état de la planète jusqu'en 1990, année de la chute définitive du Mur de Berlin et du communisme, le tournoi olympique de Vancouver pourra à peine se comparer aux grands tournois de la Coupe Canada de 1976, de 1981 et surtout de 1987, l'année où Mario Lemieux et Wayne Gretzky avaient uni leurs forces et leurs talents pour faire gagner le Canada.

Encore là, on retrouvait le connu contre l'inconnu, le bon Canadien contre le méchant communiste même si on commençait à savoir que Vladislav Tretiak et Vyacheslav Fetisov, tous deux colonels dans l'Armée rouge, étaient de fichus bons gars. Et des sportifs de très haut niveau avec un sens moral très élevé. J'aurais confié ma fille à garder à Fetisov avant Phil Esposito, on se comprend.

Par ailleurs, on remarque déjà un clivage très net entre l'exagération du reste du pays et la couverture bien raisonnable de la préparation au tournoi. Ça ne me surprend pas. Le reste du Canada aime vraiment le hockey. Le Québec, lui, aime la Flanelle et à part quelques fans plus connaisseurs, on va attendre le début du tournoi pour plonger tête première dans l'aventure. Ça s'est passé ainsi depuis l'entrée des pros de la LNH à Nagano en 1998 et je ne prévois pas un gros changement cette saison.

Par ailleurs, il n'y a pas que les chroniqueurs de l'Ouest et de l'Ontario qui déraillent. J'ai un excellent confrère qui soutient que l'équipe B du Canada serait tellement forte qu'elle pourrait se hisser sur le podium à Vancouver.

Ça fait au moins 35 ans que des esprits échauffés commettent la même erreur de jugement. La plupart des commentateurs de la Série du siècle prévoyaient une série de raclées en faveur du Canada contre les Soviétiques. Comment un nu-pieds comme Alexander Yakushev pouvait-il rivaliser avec Phil Esposito?

En 1998, lors du retour des pros de la Ligue nationale aux Jeux olympiques de Nagano, on est encore tombés dans le même piège. Le Canada serait trop fort pour le tournoi. Patrick Roy, Wayne Gretzky, Raymond Bourque et les autres écraseraient toute opposition. Y ont même pas été foutus de battre la Finlande pour obtenir au moins une médaille de bronze.

À Salt Lake City, malgré l'atmosphère de country club provoquée par Wayne Gretzky et ses copains, l'équipe était aspirée vers l'or par Mario Lemieux. Le grand Mario était dans une autre stratosphère et rien n'aurait pu l'arrêter. Il a su entraîner à sa suite ses coéquipiers et l'équipe, unie et soudée derrière le capitaine, a fait capoter le pays.

Mais à Turin, aux Jeux suivants, on a assisté à une belle débandade. Qui sera le leader, qui saura inspirer les joueurs, qui saura les brancher avec le reste du pays dans leur marche olympique? Avant de penser à l'équipe B, vaudrait mieux réfléchir un peu...

C'est toujours dangereux de sous-estimer des adversaires qui atteignent un état de grâce dans un tournoi. À Nagano, j'étais à trois rangées de la patinoire quand j'ai vu Saku Koivu et Teemu Selanne battre le Canada pour le bronze. Et dans le match précédent, comment oublier la vision de ces joueurs tchèques, debout sur leur banc, se tenant par les épaules pour former une chaîne de solidarité pendant les tirs de barrage qui allaient coûter l'or ou l'argent au Canada?

Et ceux qui ont couvert Turin ont encore en mémoire le souvenir de cette défaite contre la Suisse, qui a fait baisser la tête à tout un pays trop confiant dans ses héros. Et connaissez-vous beaucoup de journalistes qui vantaient l'équipe B du Canada quand les joueurs sont rentrés en Amérique avec une septième place aux Jeux olympiques?

Je ne dis pas que le Canada ne gagnera pas la médaille d'or. Je dis seulement que battre les Russes, qui comptent sur trois des cinq meilleurs joueurs au monde, sera un grand défi. Et il y a des gars de la Ligue Continentale russe qui auront un mot à dire dans ces matchs. Et qui donc peut balayer la Suède ou la Finlande du revers de la main? Et la République tchèque?

Il se peut que l'équipe canadienne soit portée aux nues par la frénésie des amateurs et des partisans. Il se peut aussi que la pression devienne intolérable. Il se peut qu'il faille se tourner vers un gardien plus jeune pour transporter le club, il se peut que des jeunes joueurs deviennent des héros et que de grands noms soient des zéros.

Il se peut surtout qu'on ait droit à du très grand hockey, même si le tournoi sera disputé sur une glace de Mickey Mouse.

Dans le calepin - Les chiffres hypothétiques ont plu depuis quelques mois concernant le prix de vente du Canadien. Selon mes sources, et elles ont l'habitude d'être plus que fiables, c'est la somme de 567 millions que les frères Molson et le consortium qui les appuie, ont versée pour leur joyau. Par ailleurs, d'autres entreprises sont encore intéressées à se lier aux Molson. C'est le cas entre autres de Couche-Tard et de son président, Alain Bouchard.