J'avais deux idoles de jeunesse. Maurice Richard et Sam Etcheverry. La vie aura été bonne, elle m'aura permis de les connaître tous les deux et même d'aller les rencontrer chez eux.

Sam est donc parti. Et pour l'avoir admiré comme joueur et pour l'avoir connu par la suite comme homme, je sais qu'on perd un grand monsieur.

Quand je lui avais donné la main la première fois, devant le petit centre commercial de l'Île-des-Soeurs, j'avais été frappé par la paluche qu'il m'avait tendue. Une main forte aux doigts longs et forts. Des doigts qui avaient permis au numéro 92 des Alouettes de tenir facilement le ballon plus gros et moins effilé de la Ligue canadienne de football. Une main qui ressemblait justement à celles du Rocket et de Guy Lafleur.

La toute première fois, je n'avais pas de raison professionnelle d'arrêter Sam. Je voulais juste lui dire comment j'avais eu de la peine quand Chuck Hunsinger avait échappé le ballon en novembre 1954 pour causer la défaite des Alouettes. Sam avait été formidable en lançant des passes à Red O'Quinn et Hal Paterson et les Alouettes menaient par cinq points avec un peu plus d'une minute à jouer. Ils avaient le ballon à la ligne de 10 des Eskimos d'Edmonton.

Sam a tendu le ballon à Hunsinger qui a voulu contourner la ligne offensive. Lui a toujours juré qu'il avait tenté une passe avant mais l'arbitre n'a jamais hésité à déclarer que la passe qu'il avait tentée en latérale était un échappé. Jackie Parker, le grand quart des Eskimos a sauté sur le ballon et a couru 100 verges pour donner la victoire à Edmonton. À l'époque, les meilleurs joueurs étaient sur le terrain pour l'attaque comme pour la défensive. Et un touché ne valait que cinq points. Dans ma mémoire, c'est très clair. Je revois encore Etcheverry tentant de rattraper Parker qui galopait vers les buts. En vain.

Tout le pays a parlé de ce jeu pendant des décennies. L'onde de choc a été énorme au Québec. Les Alouettes du début des années 50 étaient aussi populaires que le Canadien. Et Sam était la deuxième grande idole avec Yvon Robert, derrière Maurice Richard.

L'automne, à Falardeau, on jouait au football dans la route régionale en gravier entre deux voitures qui nous empoussiéraient. J'étais Sam, mon frère était Paterson.

Sam n'a jamais gagné la Coupe Grey comme joueur. Il a mené son équipe trois fois à la finale, mais la défensive des Alouettes ne résistait pas aux courses folles de Parker, de Normie Kwong et des autres purs sangs des Eskimos. Mais jamais un joueur des Oizeaux n'a eu son charisme et son envergure par la suite. À part Johnny Rodgers qui faisait tant rire Bob Duguay.

Et je n'oublierai jamais son tout premier match comme quart des Cardinals de St-Louis en 1960. Tout le Québec amateur de football avait souffert le martyr en voyant Sam échapper les mises en jeu à cause de la nervosité. Ça ne l'avait pas empêché de mener les Cards à la victoire contre les Giants de New York. Yves Létourneau et Jean Séguin avaient décrit le match, sur place, pour Radio-Canada.

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C'est en étant le coach des Alouettes, en 1970, que Sam a enfin bu dans la Coupe Grey. Son capitaine était Pierre Desjardins. Son botteur de placement était George Springate, ancien député devenu juge à l'Immigration. Les Alouettes étaient allés gagner la Coupe Grey à Toronto alors même qu'on était en pleine Crise d'octobre au Québec et au Canada. Mais pendant quelques semaines, tout le monde s'était regroupé derrière le coach et ses gars. Et Sonny Wade, que personne ne place dans sa liste personnelle des grands joueurs des Alouettes, avait gagné la première de ses trois Coupe Grey comme quart des Alouettes. Tout en étant choisi le meilleur joueur du match. Wade n'était pas spectaculaire, mais il avait du courage et du sang-froid comme 10. Quand les choses se corsaient, le grand Wade hissait son jeu d'un cran. Celui-là, Sam a dû l'aimer tout en rageant lors des matchs moins importants de la saison régulière.

À se retraite du football, Sam s'est lancé dans les affaires en devenant courtier en valeurs mobilières. Le diable d'homme a quand même trouvé le moyen de former et d'employer des joueurs des Alouettes pour qu'ils se préparent une deuxième carrière. Quand j'allais à son bureau, il avait toujours son éternelle chemise blanche, ses manches roulées sur les avant-bras et une cravate.

Les temps ont changé, c'est certain. Le football de la Ligue canadienne doit prospérer dans l'ombre de la toute puissante Ligue nationale. Et les amateurs, continuellement bombardés d'images venant des États-Unis et de la NFL, ont de la difficulté à jauger le travail des meilleurs joueurs des Alouettes. Dans le temps de Sam, c'était plus simple, la CFL était aussi forte que la NFL. Ce n'est qu'au début des années 60, après la victoire des Colts de Baltimore et de Johnny Unitas en prolongation contre les Giants de New York en 1958 que la NFL a vraiment pris son envol.

Les temps ont changé et il se peut que dans les faits, Anthony Calvillo soit meilleur que Sam. Mais seul un ti-cul de 10 ans pourrait me le dire. C'est dans sa tête à lui que Calvillo est une idole...

DANS LE CALEPIN - J'ai beaucoup aimé la page de remerciement avec la photo de Sam Etcheverry dans le site internet des Alouettes. Ça veut dire beaucoup.