Peut-être que vous avez la même réaction, ça se peut que ce soit différent, mais souvent c'est une anecdote, un moment bien précis dans le temps, qui dépeint le mieux un homme. Ou une femme évidemment, puisque l'homme comprend la femme. En français et en latin en tous les cas.

J'ai rencontré Luc Robitaille des dizaines de fois. Toujours, il a été gentil, avenant, poli, charmant et charmeur. Il était vif et brillant, toujours à l'affût des dernières nouvelles du Québec. Sans oublier qu'avec les Kings de Los Angeles surtout, c'était une grande star. Que les stars de Hollywood se faisaient un devoir d'inviter dans leurs fêtes privées.

Mais que Luc, le Québécois doué, soit gentil avec les journalistes de Montréal qui passaient le voir à quelques reprises en Californie, ça allait sans doute de soi.

Mais la vraie hauteur de l'homme, c'est à un autre moment que je l'ai mesurée. Et jamais Luc Robitaille ne s'est vraiment douté à quel point le geste qu'il posait était important dans la vie de quelqu'un.

C'était avant le quatrième match de la finale entre le Canadien et les Kings. Un vague cousin par alliance, un gars formidable dans la jeune vingtaine, s'était payé le voyage Baie-Comeau-Los Angeles pour assister aux matchs de la finale.

Marc était tout frais diplômé en génie. Pas un mot d'anglais ou à peu près, une toute légère hésitation dans le débit quand il était nerveux, le voilà le samedi matin si ma mémoire est fidèle, dans le couloir qui menait au vestiaire des Kings.

J'avais donné les instructions au cousin: «Y a un énorme gardien à la porte. Mais faut passer devant lui en te comportant comme si tu étais le propriétaire de l'édifice et de l'équipe. Sans aucune hésitation. Pendant ce temps, je ferai examiner mon accréditation. S'il te pose une question, tu réponds en français et tu fonces...»

Ça s'était plutôt bien passé. Mais pas aussi bien que je l'espérais. Marc, de Baie-Comeau, a foncé comme s'il était le propriétaire, j'ai montré mon accréditation, mais le gardien a laissé sa place à la porte pour s'élancer à la poursuite du cousin. Ça s'annonçait mal.

J'ai vu Luc Robitaille, qui était déjà en discussion avec un confrère. Je lui ai crié rapidement: «Luc, c'est Marc, un cousin de Baie-Comeau!»

Luc a jeté un coup d'oeil vers Baie-Comeau, qui paniquait et qui commençait à bégayer. Il a aperçu le gardien de sécurité et il est allé devant en souriant: «No problem! He is a cousin of mine, it's ok!».

Robitaille, toujours aussi gentil, s'est mis à jaser de la Côte-Nord et de ce qui se passait à Baie-Comeau. «C'était ton premier voyage en avion? Wow! Aimes-tu Los Angeles?»

Le cousin bégayait de plus en plus, trop intimidé.

«Viens, je vais te présenter Wayne Grezkty!»

Le grand Marc se retrouvait devant Gretzky et tous les autres, présenté par son «ami» Luc, qui traduisait les compliments du gars de la Côte-Nord.

Puis, il l'a conduit vers le préposé aux bâtons. Il en a pris un des siens et est parti avec un crayon feutre faire la tournée des joueurs.

Une demi-heure plus tard, quand on est reparti vers l'hôtel, mon jeune ingénieur avait son hockey des Kings et d'autres souvenirs que Luc avait trouvés. Il était béat de bonheur, flottant dans un nuage... dans le ciel bleu de la Californie.

Voyez-vous, ce matin-là, Luc Robitaille a jaugé d'un coup d'oeil le grand garçon qu'il avait devant lui. Un gars qui réalisait un rêve encore plus fou qu'il n'avait osé espérer. Et sans même se forcer, avec une générosité qui vient d'un bon coeur, il a pris les minutes qu'il fallait pour faire un heureux. Sans rien attendre en retour.

Des histoires comme celles-là, tous mes confrères en auraient à vous raconter. Avec des enfants, avec des adultes, avec des commentateurs expérimentés qu'il rendait encore plus à l'aise en commençant par une blague ou deux, avec de jeunes journalistes qui portaient leur micro d'une main tremblante et que Lucky Luc amadouait d'un mot d'esprit ou en donnant lui-même le décompte avant l'entrevue.

Luc Robitaille n'est pas admis au Temple de la renommée parce qu'il a rendu heureux un gars de Baie-Comeau, c'est évident. Il y est parce qu'il a compté plus de buts qu'aucun autre ailier gauche dans l'histoire du hockey. Il y est parce qu'il a gagné la Coupe Stanley et il y est parce que la rondelle lui parvenait toujours même s'il n'était pas le patineur le plus rapide de la Ligue nationale.

Et il était admiré par d'autres grands athlètes. Un jour que je me retrouvais à Atlanta pour un match des Expos contre les Braves, j'étais allé m'asseoir avec Tom Glavine, la grande star des Braves au monticule. Le gaucher était un formidable lanceur même si sa balle rapide n'était pas la meilleure du baseball. Puis le sujet de conversation avait dévié sur le hockey.

«J'aurais pu faire carrière dans le hockey, avait dit Glavine.

- Dans le hockey? T'étais bon au hockey? lui avais-je demandé.

- Je devais pas être mauvais, j'avais été repêché avant Luc Robitaille!» m'avait répondu Glavine pour me convaincre.

Remarquez qu'ils étaient plusieurs en Amérique à pouvoir se vanter d'avoir été repêchés avant Robitaille. Le beau Luc avait été choisi au neuvième tour. Comme quoi, des Trevor Timmins, il y en avait déjà à l'époque.

Hier soir, c'est dans le grand Temple officiel et public qu'on a intronisé Luc Robitaille. Mais dans son Temple de la renommée personnel, il y a de la place pour la générosité et la gentillesse. J'espère qu'en vieillissant, Luc Robitaille sait qu'il aura semé beaucoup de joie et de bonheur sur la longue route de la Ligue nationale.

Une belle cuvée

C'est vraiment une belle cuvée que le Temple de la renommée s'offre en 2009. Steve Yzerman, tout en étant complètement différent de caractère de Luc Robitaille, est tout aussi gentil et aussi prévenant. Un homme agréable qui va être directeur général d'une équipe de la Ligue nationale avant longtemps.

Quant à Brett Hull, il a toujours eu le même bagout et le même sourire que son père, le légendaire Bobby Hull. C'est difficile de se faire un prénom quand on est le fils d'une des grandes légendes du hockey. Il aura réussi.

Et Brian Leetch fut un grand joueur et un grand gentleman. Une sélection de grande qualité.

Ce fut un privilège de les côtoyer.