2010 sera aussi l'année Muhammad Ali. En octobre, il y aura 50 ans que «le plus grand» aura disputé son premier combat. C'était le 29 octobre 1960 contre Tunney Hunsaker, un chef de police de Fayetteville en Virginie-Occidentale.

Janvier 2010. On a fêté ces dernières années des anniversaires qui s'éternisaient pendant une année complète. L'année Mozart; l'année Bach; l'an dernier, c'était l'année Haydn. Cette année, ce sera l'année Chopin.

Et 2010 sera aussi l'année Muhammad Ali. En octobre, il y aura 50 ans que «le plus grand» aura disputé son premier combat. C'était le 29 octobre 1960 contre Tunney Hunsaker, un chef de police de Fayetteville, en Virginie occidentale. Dix fois, quand je roulais sur la 95 entre la Floride et le Québec, je me suis dit que j'irais rencontrer le monsieur. Surtout qu'il est devenu un ami de Muhammad Ali par la suite.

Il y a une vingtaine d'années, j'avais profité du camp des Expos pour aller rencontrer Ingemar Johansson, l'ancien champion du monde qui avait battu Floyd Patterson. Il était propriétaire d'un petit motel à Pompano Beach.

Mais le chef de police de Fayetteville, je ne l'ai jamais vu. Toujours trop pressé de faire le voyage en deux jours.

Ce premier combat avait été remporté par un tout jeune boxeur qui s'appelait encore Cassius Clay. Plus tard, il allait mettre une raclée à Sonny Liston et devenir champion du monde des poids lourds. Et à l'époque, il n'y avait qu'un seul champion du monde des poids lourds. Et la planète entière, incluant l'Afrique, admirait et vénérait le champion ultime. Avant Ali, il y avait eu Jersey Joe Walcott, Rocky Marciano, Joe Louis et avant eux, Jack Johnson, Jack Dempsey et autres légendes.

Mais il n'y avait jamais eu de Muhammad Ali. Et je ne pense pas que la boxe connaîtra un autre champion et un autre homme comme Ali.

Quand il est devenu champion du monde, les femmes noires devaient rester debout au comptoir des restaurants même si des tabourets étaient libres. Elles n'avaient pas le droit de s'asseoir là où s'assoyaient les Blancs. Elles ne pouvaient utiliser que les toilettes pour «Coloured», les plus sales et les plus dégoûtantes. Et dans les autobus, elles devaient s'asseoir à l'arrière et donner leur place si un Blanc se présentait.

Le Ku Klux Klan assassinait des Noirs et faisait brûler des enfants qu'on ne retrouvait jamais; des bandits blancs étaient acquittés de crimes odieux, et même dans la Nouvelle-Angleterre très évoluée, il a fallu l'intervention de l'armée pour que les autobus d'écoliers puissent transporter des enfants noirs.

On ne parle pas du Moyen Âge, on parle de l'époque de Jean Béliveau, de Gilles Tremblay, de Jacques Laperrière. René Lévesque quittait le Parti libéral pour fonder le Mouvement souveraineté-association.

Et ce jeune champion, Cassius Clay, refusait de porter un «nom d'esclave» et adoptait le nom musulman de Muhammad Ali. Il devenait le frère de Malcom X et des militants noirs musulmans.

Quand le gouvernement américain a voulu le forcer à aller au Vietnam, il a refusé l'offre qu'on lui faisait d'aller divertir les troupes. «Je ne peux pas manger dans vos restaurants, je ne peux pas coucher dans vos hôtels; pourquoi j'irais tuer des Vietnamiens?» lança-t-il à la face de l'Amérique.

C'était un courage suicidaire. Il sacrifia les trois meilleures années et demie de sa carrière en étant banni des rings par le gouvernement américain. Et quand il remonta dans l'arène contre Jerry Quarry, à Atlanta, il avait perdu une fraction de son incroyable génie et de sa vitesse fulgurante.

Mais l'Amérique blanche l'avait reconnu. Et une majorité pensait maintenant comme lui.

Pas surprenant que le président Barack Obama ait accepté d'écrire un essai pour un numéro spécial de USA Today consacré à Ali. On est passés des toilettes pour «Coloured people» à président des États-Unis.

Le charisme

Plus jeune, Ali a été mon idole. Je me rappelle à quel point j'ai envié Foglia, que La Presse avait délégué au Zaïre pour le combat contre George Foreman. Je lisais ses textes religieusement. Et je n'étais pas d'accord avec sa couverture de la rencontre. Il avait vu une sorte de trucage dans l'issue du combat. Plus tard, je l'ai visionné au moins une vingtaine de fois. Et une fois qu'on a laissé de côté le préjugé causé par le mythe du «rope a dope», on réalise qu'Ali avait gagné six des sept premiers rounds. Et clairement, en plus. Foreman avait passé la soirée à cogner sur ses coudes et sur ses avant-bras. À chaque ronde, Ali trouvait le moyen de placer une série de combinaisons qui faisait voler la tête de Foreman.

Ali avait gagné les rounds, il a achevé Foreman au huitième.

Mais quand on écoute ses commentaires dans When We Were Kings, l'extraordinaire documentaire tourné sur le combat, on réalise que le grand Ali pouvait être cruel et méchant. Il l'avait été envers Foreman, qu'il avait réussi à dépeindre comme un Oncle Tom, et il l'avait été aussi envers Joe Frazier. Mais le charisme du «plus grand» est tel, que les deux hommes le vénèrent encore aujourd'hui.

Ali aura affronté les plus grands de sa génération. Et ce faisant, il a fait découvrir à la planète entière un homme généreux et bon qui a pardonné aux pires arnaqueurs et qui a su appuyer les efforts de grands hommes dans les plus grandes difficultés.

Ma carrière m'a choyé. J'ai rencontré Ali chez lui dans son chalet d'entraînement à Deer Lake, en 1980. Il se préparait pour son combat contre Larry Holmes. Ali avait beaucoup maigri pour le combat, mais il était vidé de toute substance. Son corps était déjà miné par le parkinson.

J'étais avec le confrère Jean-Denis Girouard quand on a été admis dans la salle principale du chalet. Ali était couché sur un sofa avec de grosses bottes de travailleur. Il s'était amusé avec une de ses filles, peut-être Leila, je ne me rappelle pas. Et il avait entamé une longue conversation qui avait duré une bonne heure. C'est une des deux fois dans ma carrière où je me suis servi d'une enregistreuse. L'autre fois, c'était en 1977, lors d'un reportage avec Jacques Cossette-Trudel et les felquistes réfugiés à Villeneuve, en banlieue de Paris.

De cette soirée, je n'ai jamais oublié une réponse d'Ali que je vous rappelle de mémoire: «Dans la vie, si on va au lac avec une tasse, on revient avec une tasse d'eau. Si on y va avec un baril, on revient avec un baril. Mais si on installe une pompe, alors on a toute l'eau qu'on veut.» Les mots peuvent ne pas être tout à fait exacts, mais c'est le sens de ses paroles, ça j'en suis certain.

Une autre fois, j'avais accompagné Ali à la Baie-James lors d'un voyage de promotion organisé par Hydro-Québec. Le soir, j'étais rentré à Montréal, mais Ali s'était arrêté à Rouyn-Noranda pour prononcer une conférence.

Il avait gagné le coeur des Abitibiens.

La maladie de Parkinson

J'ai eu l'occasion de retrouver Ali à quelques reprises par la suite. Mais on ne pouvait presque plus entendre sa voix. Lui, la plus grande gueule de l'histoire du sport, souffre d'une forme extrême de la maladie de Parkinson.

Certains ont prétendu qu'il était atteint de la démence du boxeur. Les spécialistes soutiennent que ce n'est pas le cas. Il se peut que sa condition de boxeur ait accéléré les ravages du Parkinson, mais les symptômes épouvantables qui hypothèquent sa vie sont ceux de sa maladie. Ali n'est pas «punch drunk».

Pendant l'été, on va sans doute souligner la médaille d'or du jeune Clay aux Jeux olympiques de Rome. Déjà, à l'époque, j'avais lu un reportage du regretté Louis Chantigny avec ce jeune boxeur américain avec qui il avait partagé sa table à Rome. Le temps de quelques déclarations.

Et comme on craint que la santé d'Ali ne se détériore encore davantage pendant les prochains mois, les réseaux américains vont sans doute profiter de ce cinquantième anniversaire pour nous rappeler les grands moments du Greatest.

En attendant, sachez qu'il a tenu tête à l'Amérique blanche à une époque où les Noirs n'avaient pas le droit d'aller à l'école avec les Blancs. Sachez qu'il a prêché pour que les Noirs soient fiers et ne courbent plus jamais la tête devant les anciens maîtres blancs. Sachez qu'il a aidé des milliers de démunis et de pauvres. Sachez qu'il est devenu le nom le plus connu et le plus vénéré sur les cinq continents.

Sachez qu'il est venu à Montréal à quelques reprises... et à Rouyn-Noranda une fois.

Sachez que je devrais vraiment arrêter à Fayetteville en juin quand je vais ramener ma moto au Québec.

Pour entendre parler du jeune Cassius...

DANS LE CALEPIN - Une petite note pour corriger une erreur. Andrei Markov est une sélection de l'époque Réjean Houle. Rendons à César ce qui est à César et à Houle ce qui est à Houle. Tomas Plekanec, lui, est de l'ère André Savard.