Fini le temps où les libéraux pouvaient compter sur l'appui indéfectible des communautés immigrantes. Prenez ce qui s'est passé dans Ahuntsic dans la nuit de mardi, une circonscription où on compte près de 40% d'électeurs issus de minorités. Après une soirée haute en suspense où la circonscription a valsé de façon frénétique entre le bleu et le rouge, le Bloc québécois a fini par l'emporter par une mince avance de 142 votes. Un résultat extrêmement serré, digne d'une soirée de référendum: 39,1% des voix pour la bloquiste Maria Mourani contre 38,8% pour la libérale Eleni Bakopanos, qui envisage de demander un dépouillement judiciaire.

En 2006, quand la circonscription d'Ahuntsic est passée du rouge au bleu, après près de 10 ans de règne libéral, certains n'y voyaient qu'un vote de protestation, une montée de lait passagère, plutôt qu'une véritable percée. Après cette petite saute d'humeur provoquée par le scandale des commandites, les électeurs qui avaient voté libéral depuis près de 10 ans reviendraient au bercail fédéraliste, disait-on.

Mais la deuxième victoire à l'arraché de la députée bloquiste porte à croire que le «vote ethnique» n'est plus toujours ce qu'il était, malgré ce qu'en pense Pierre Falardeau. Moins monolithique, plus divisé, il peut parfois se pointer le nez là où on ne l'attend pas.

Le «vote ethnique» a-t-il changé? Maria Mourani pense que oui. Le «vote ethnique», acquis aux libéraux ou aux partis fédéralistes, elle n'y croit plus. Ça ne marche plus comme ça, dit-elle. «Il faut arrêter de mettre les gens dans des petites cases. Je trouve ça méprisant.» Il faut aussi tenir compte du point de vue des jeunes générations, dit-elle, en précisant que les jeunes qu'elle rencontre, qu'ils soient d'origine haïtienne ou libanaise, sont souverainistes.

En faisant son porte-à-porte, la députée bloquiste a entendu beaucoup de gens lui dire: «Normalement, on vote libéral, mais on va voter pour vous parce que vous êtes une bonne députée. On ne vote pas pour le Bloc, on vote pour vous.»

Est-ce la fin du «vote ethnique» ? «Je crois qu'il y a un changement», dit Jack Jedwab, qui scrute à la loupe le comportement des électeurs issus de minorités depuis des années. Mais difficile de parler d'une «mouvance», dit le directeur de l'Association d'études canadiennes. L'appui au Bloc québécois demeure tout de même très faible chez les minorités ethniques, observe-t-il.

Quels seraient donc les facteurs ayant mené le Bloc vers la victoire dans Ahuntsic? Jack Jedwab en relève trois: la notoriété de la candidate bloquiste, le fait que la souveraineté n'était pas un enjeu qui compte dans ces élections ainsi que l'affaiblissement du «branding» des libéraux auprès des minorités ethniques.

Est-ce que le fait d'avoir une candidate d'origine libanaise dans une circonscription où on compte une importante communauté libanaise a joué en sa faveur? Ce n'est pas si simple que ça, a constaté Maria Mourani. «La communauté libanaise était divisée. Certains étaient avec moi. D'autres étaient avec les conservateurs ou avec les libéraux.»

J'ai posé la même question à Marie-Michèle Sauvageau, étudiante en communication de l'Université Laval qui s'est justement intéressée à cette question dans le cadre d'un mémoire de maîtrise qu'elle déposera bientôt. Sa recherche l'a amenée à interviewer des immigrants d'origine libanaise pour tenter de comprendre ce qui influençait leur vote. Elle leur présentait tour à tour un candidat fictif issu de leur communauté et un autre qui ne l'était pas. Résultat? «Ce n'est pas vraiment l'origine de la personne qui importait le plus, mais les idées du parti. Est-ce que ce parti allait les aider à promouvoir leurs intérêts?»

Bref, il faut être très prudent avant de décréter que la seule présence d'un candidat issu d'une minorité X est gage de succès auprès des électeurs de la même communauté. En général, les résultats des partis souverainistes sont médiocres dans les circonscriptions où les minorités ethniques occupent une place importante. Et le fait d'y présenter un candidat immigrant n'y change pas grand-chose, constate Marie-Michèle Sauvageau. «L'ethnicité est une variable qui n'a pas une influence directe sur les gens. C'est davantage une variable diffuse.»

Ce qui a mené Maria Mourani vers la victoire, c'est bien davantage le fait qu'elle a déjà fait ses preuves dans la circonscription, observe Marie-Michèle Sauvageau. Il faut bien sûr aussi noter que le facteur «ethnique» n'est pas le seul qui importe: la circonscription d'Ahuntsic compte aussi une proportion importante d'électeurs canadiens-français plus enclins à voter pour le Bloc québécois.

Même si son avance est plus mince qu'en 2006, Maria Mourani considère qu'il s'agit d'une plus grande victoire cette fois-ci. «Parce qu'en 2006, il faut être honnête, le scandale des commandites avait joué.»

Mais avec seulement 142 voix de plus que son adversaire libérale, la députée bloquiste sait que rien ne lui est acquis. «Je le prends comme si on me disait: Continue, mais travaille encore plus fort!»

Dans cette circonscription qui a hésité plus que jamais entre le rouge et le bleu, deux «tiens» ne veulent pas dire que «trois, tu l'auras».

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca