Montréal grisonne de plus en plus. Montréal fait de plus en plus le saut vers la banlieue. Montréal est la ville la plus scolarisée de la province. Montréal parle de plus en plus d'autres langues que le français dans sa cuisine.

Dans le grand miroir que lui tendait Statistique Canada hier, Montréal avait ainsi l'air d'un personnage d'une peinture cubiste, avec des traits qui disent une chose et son contraire selon l'angle choisi par le spectateur.

Et puis, dans ce grand miroir, il y a encore et toujours cette langue que nous tire Montréal, source de tous les questionnements identitaires. La proportion de gens parlant le plus souvent français à la maison recule, rappelle-t-on. Sur le territoire de la Ville de Montréal, quatre personnes sur 10 parlent le plus souvent à la maison une autre langue que le français. Parmi ces gens, 48,4 % emploient le plus souvent l'anglais. Suivent loin derrière l'espagnol (6,9%), l'italien (6,8%), l'arabe (6,1%) et les langues chinoises (6%). Des statistiques qui viennent détailler encore davantage le portrait déjà dévoilé par Statistique Canada il y a plus d'un an selon lequel, pour la première fois en 2006, les Montréalais dont la langue maternelle est le français sont minoritaires sur l'île.

Ces données ont surpris le démographe Marc Termote considéré, à tort ou à raison, comme un pessimiste. «Je n'aurais jamais pensé que mes prévisions se concrétiseraient aussi vite», me disait hier celui que l'on connaît maintenant comme l'auteur de la célèbre étude cachée de l'Office québécois de la langue française.

En 1999, Marc Termote avait bel et bien prédit la minorisation du français dans les foyers montréalais. Mais le scénario qu'il prévoyait pour 2021 s'est réalisé 15 ans plus tôt. Ainsi, même le scénario le plus pessimiste du démographe s'est révélé plus optimiste que la réalité exposée par le recensement de 2006. Dans son étude finalement rendue publique par l'OQLF, le démographe persiste et signe en observant que si la tendance se maintient, l'avenir du français à Montréal est menacé.

On peut bien sûr contester le fait que l'étude de Marc Termote définit comme «francophones» ceux qui déclarent le français comme langue d'usage à la maison. Car dans les foyers immigrants, il n'est pas rare d'entendre parler plusieurs langues, incluant le français. En ce sens, l'indicateur de la langue parlée à la maison a certainement quelque chose de réducteur, car il exclut de la catégorie « francophone » bien des gens qui sont tout à fait francophones.

Cela dit, à long terme, si on songe au Montréal de 2021 ou de 2031, la question que pose le démographe est fondamentale et appelle à la réflexion. Est-ce qu'on peut imaginer un Montréal schizophrène où les gens parleraient très peu français à la maison, mais continueraient majoritairement à fonctionner en français à l'extérieur?

À la suite de la tempête linguistique autour de son étude tenue secrète, Marc Termote s'est joint à l'Institut de recherche sur le français en Amérique, une institution citoyenne indépendante née de cette controverse. Que peut-on faire pour renverser la tendance? lui ai-je demandé. Pas grand-chose, m'a-t-il répondu, un haussement d'épaules dans la voix. «Ce n'est pas en rafistolant à gauche et à droite la loi 101 qu'on va renverser des tendances démographiques qui sont dominantes».

Les tendances dominantes sont le déficit de naissance chez les francophones, l'étalement urbain et l'arrivée d'une proportion importante d'immigrants non francophones. Or, il est très difficile de faire bouger ces tendances. Miser sur des politiques natalistes? Bien mal venu serait celui qui voudrait donner des bébé-bonus uniquement aux mères francophones...

Contrer l'étalement urbain? Pas évident d'aller à l'encontre du choix personnel d'un nombre croissant de familles qui vont s'établir en banlieue.

Miser davantage sur l'immigration francophone? « Si l'immigration internationale était à 80 % francophone, il n'y aurait pas de problème », dit-il. Mais comment y arriver?

Alors quoi? Imposer l'unilinguisme français à Montréal comme on l'a fait avec le flamand en Flandre? Si Marc Termote, lui-même d'origine belge, a souvent évoqué l'exemple de la Flandre, il ne croit pas qu'il soit pertinent pour Montréal. «C'est une solution impensable en contexte nord-américain où la primauté des droits de l'individu prime sur les droits collectifs.»

Bref, selon Marc Termote, si la tendance se maintient, Montréal n'a d'autre choix que de se résigner à la minorisation de sa voix francophone. Une vision pessimiste? C'est ce qu'on avait dit de ses prédictions en 1999. Sauf que 10 ans plus tard, les chiffres lui donnent raison. À méditer.