Comme bien du monde, j'ai regardé hier la conférence de presse web du «premier explorateur spatial privé de l'histoire du Canada» et «première personne à exécuter une mission sociale poétique dans l'espace».

Sur l'écran de mon ordinateur de la rue Saint-Jacques, le pionnier poétique en personne, Guy Laliberté, était là, en direct de Star City en Russie, où il s'entraîne en vue de sa mission. Il était vêtu d'un simple T-shirt blanc nous rappelant en grosses lettres qu'il part en «mission sociale poétique». Un petit rappel subtil, juste au cas où des esprits naïfs ou tordus aient la mauvaise idée de confondre la mission avec une campagne de publicité pour le guide du Cirque du Soleil.

 

Pendant une bonne heure, le fondateur du Cirque du Soleil, un logo de son entreprise bien en vue au-dessus de sa tête, a ainsi expliqué aux internautes en quoi consisterait son «odyssée» humanitaire à 35 millions. Si M. Laliberté veut aller dans l'espace, n'allez surtout pas croire, mesdames et messieurs, que c'est simplement pour son plaisir personnel ou pour se pavaner. Pas question pour lui de se contenter d'être un vulgaire touriste de l'espace. Non. De là-haut, durant cette expérience qui se veut avant tout «spirituelle», le grand prêtre du Cirque du Soleil a un rêve. Il veut sensibiliser la pauvre population terrestre aux enjeux de l'eau et à l'avenir de notre planète, avec un événement «mondial, international» et même «universel».

Pourquoi se donne-t-il tout ce mal? C'est pour nous, misérables Terriens, qu'il fait tout cela, se refusant à sombrer dans la facilité de la sensibilisation strictement terrestre. Il se peut même qu'il mette son nez de clown et qu'il jongle un peu dans les étoiles pour faire la promotion de sa fondation One Drop. Du haut de la station spatiale, le pionnier organisera un spectacle à grand déploiement avec Peter Gabriel, U2, Shakira et Patrick Bruel. Tout cela porté par un rêve: «L'eau pour tous, tous pour l'eau». Amateurs de poésie, soyez-y.

Invoquant des «raisons artistiques» et la nature «internationale» de l'événement, Guy Laliberté a par ailleurs confirmé hier que Claude Péloquin n'est plus son poète spatial officiel. La mission d'écrire un conte poétique est désormais confiée à l'auteur Yann Martel. Le conte mettra en scène «la lune, le soleil et des gouttes d'eau (qui) vont dialoguer», a expliqué hier Guy Laliberté. C'est à suivre.

On pourrait croire à une mauvaise nouvelle pour le poète Péloquin et à une bonne pour Martel. Je ne connais rien à la poésie spatiale, mais il me semble que c'est tout le contraire. Durant la conférence de presse, les mots «poème», «poésie», «poétique» ont dû être prononcés plus d'une vingtaine de fois. Paradoxalement, plus on parlait de poésie, plus on avait l'impression de s'en éloigner.

La poésie, la vraie, peut-elle vraiment survivre à toute cette enflure narcissique drapée de bons sentiments? N'est-elle pas justement aux antipodes de ce boursouflage mégalomane interplanétaire? On verra bien.