Lors d'un récent week-end à New York, je n'ai visité qu'un seul musée. Celui de la rue. Toujours changeant. Jamais décevant.

J'ai marché, marché et marché encore, découvrant avec bonheur le nouveau High Line(1), ce fabuleux parc suspendu de trois kilomètres qu'on a fait pousser sur une voie ferrée abandonnée du Meatpacking District. J'ai aussi suivi les traces de Janette Sadiki-Khan, la désormais célèbre commissaire au transport de New York qui ne laisse personne indifférent. Et pour cause: elle a réussi à piétonniser Broadway, une des artères les plus congestionnées de la planète. Times Square, au coeur de Manhattan, zone piétonne? Il faut le voir pour le croire.

Vous avez peut-être déjà entendu parler d'elle ou vu sa photo, attablée au beau milieu de Times Square comme si c'était son petit jardin urbain. Une femme déterminée qui a révolutionné la rue new-yorkaise en s'accrochant à cette idée toute simple: les rues, même les plus fréquentées du monde, appartiennent d'abord aux gens, pas aux autos.

La commissaire a d'abord mis de l'avant des projets discrets dans différents quartiers de la ville, accordant une place plus importante aux piétons et aux cyclistes. Elle a ensuite, en très peu de temps, réussi des trucs spectaculaires que ce soit à Times Square ou avec cette nouvelle place publique du Madison Square, juste au pied de l'édifice Flatiron. On peut désormais s'y asseoir ou flâner au beau milieu d'une avenue Broadway devenue plus étroite et plus conviviale(2).

Pour y arriver, Janette Sadiki-Khan ne s'est pas contentée d'organiser des demi-journées sans voitures qui ne dérangent personne. Elle n'a pas eu peur de bousculer les idées que des ingénieurs en circulation croyaient coulées dans l'asphalte pour l'éternité. Quand elle a pris les rênes du transport new-yorkais, il y a deux ans et demi, elle a commencé par embaucher trois des plus virulents critiques du DOT de New York (Department of Transportation). Un peu comme si le maire Tremblay embauchait ses juges les plus sévères de Projet Montréal.

Frondeuse, la commissaire a ainsi réussi à mettre au rancart les vieilles façons de faire. Elle voulait des trottoirs larges et invitants, du mobilier urbain élégant, davantage de places publiques et de pistes cyclables. Et elle a réussi à les avoir, malgré les hauts cris de nombreux détracteurs qui la trouvent trop radicale.

Dans un portrait fascinant qu'a fait d'elle le magazine New York, Janette Sadiki-Khan avoue qu'elle vole allègrement leurs bonnes idées aux villes qui l'inspirent. Lors d'une visite à Montréal en juin, elle s'est d'ailleurs intéressée à notre très populaire vélo en libre-service BIXI. Le BIXI a déjà séduit Londres et Boston. New York le lorgne du coin de l'oeil - le BIXI a même été présenté sur Broadway en août. La commissaire new-yorkaise l'avait essayé au cours de sa visite et on nous dit qu'elle a bien aimé.

Cela dit, il faut plus qu'un BIXI, aussi génial soit-il, pour que l'on puisse parler de vision d'ensemble. De toutes les villes qu'elle a visitées, la commissaire a particulièrement été séduite non pas par Montréal, mais par Copenhague. Elle s'est donc débrouillée pour embaucher comme conseiller le réputé urbaniste danois Jan Gehl et lui a demandé de jeter un coup d'oeil critique au plan de transport de New York. Ici, lorsqu'on se met à rêver de Copenhague ou d'Amsterdam, on nous répond souvent qu'il est impossible de comparer des villes nord-américaines conçues pour l'automobile à des petites villes européennes au design complètement différent. Ce que nous dit l'exemple audacieux new-yorkais, c'est tout le contraire. Il faut oser.

Même si Montréal n'est qu'un village comparé à New York, les villes ont des défis communs. Un protocole d'entente en transport visant à partager l'expertise des deux villes doit d'ailleurs bientôt être signé. Avec son Broadway rendu aux piétons, New York pourrait paver la voie à Montréal, croit même André Lavallée, responsable du plan de transport. «S'ils l'ont fait à New York, on peut le faire partout dans le monde», dit-il.

Comment faire dans une ville surgouvernée et dysfonctionnelle comme Montréal? Quand on voit la Ville se lancer sans rire dans un projet d'autoroute urbaine à huit voies pour soi-disant décongestionner la rue Notre-Dame ou encore les années de tergiversations qu'il a fallu pour fermer un tronçon de 500 mètres de la toute petite rue Saint-Paul quelques jours par été, disons qu'on se sent encore un petit peu loin des terrasses audacieuses de Broadway. Mais on peut toujours rêver.

(1) http://www.thehighline.org/

(2) Vous pouvez voir les projets sur le site www.nyc.gov/html/dot