À l'occasion de la campagne électorale montréalaise, notre chroniqueuse est allée à la rencontre de candidats de chacun des partis qui plongent dans le monde municipal pour la première fois. Voici le troisième article de la série.

Quand Robert Pilon a annoncé à ses amis qu'il allait faire le saut en politique municipale, certains ont sursauté. «Voyons donc, Robert! Qu'est-ce que tu vas faire là? Tu devrais plutôt aller au provincial ou au fédéral.»

 

Très respecté dans le milieu culturel, Robert Pilon, 63 ans, s'est notamment fait connaître en tant que vice-président des affaires publiques de l'ADISQ et pour son travail acharné pour faire adopter la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'UNESCO. Avec son carnet de contacts bien garni, il n'a pas tout à fait un profil de politicien novice, même s'il se réclame d'une nouvelle génération de politiciens.

«Dans le fond, j'ai fait de la politique toute ma vie, au moins durant les 25 dernières années», dit-il, en faisant référence à son travail de militant culturel.

Né à Lachine, Robert Pilon a grandi à la campagne, à Vaudreuil-Soulanges. «Mon père était un cultivateur instruit, dans le sens qu'il avait fait une année d'École d'agriculture, raconte-t-il. On était abonnés au Devoir. Il n'y avait pas grand monde abonné au Devoir à la campagne à l'époque.»

Le père de Robert Pilon militait entre autres dans des associations de jeunes agriculteurs. Très tôt, il a sensibilisé son fils à la notion de service public. «En plus, mes parents étaient très humanistes chrétiens. La notion de servir son prochain ou des trucs que j'ai trouvé quétaines plus tard, veut, veut pas, ça marque.»

Cela dit, longtemps, Robert Pilon ne s'imaginait pas faire de la «vraie» politique, même si l'idée lui trottait dans la tête. Lui qui a pris l'avion tellement souvent qu'il en a encore mal aux jambes a travaillé sur de grands dossiers internationaux. Il avoue que, jusqu'à récemment, il ne suivait pas la politique municipale de très près. Les soupers spaghetti, ce n'est pas trop son genre, dit-il. Mais en se joignant au comité de pilotage de Montréal, métropole culturelle au printemps dernier, il dit avoir découvert un univers fascinant, qui dépasse largement le domaine culturel. Un univers dans lequel il avait envie de s'engager.

«Comme tout le monde, j'avais lu ce que les experts disent, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, à l'ère de la mondialisation, les grandes métropoles vont jouer un rôle très important.» En regardant les choses de plus près, il s'est dit: «C'est drôlement vrai.»

À la fin du mois de juin, quand il a su que Michel Labrecque d'Union Montréal, qu'il connaissait de réputation dans le milieu culturel, allait quitter son poste de conseiller de la ville dans le Mile End pour se présenter à titre de maire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, il s'est dit qu'il y avait là une occasion à saisir. «C'est moi qui ai abordé Michel. Je lui ai dit: Je sais que tu cherches quelqu'un. C'est moi! Ç'a cliqué. On en a parlé au maire. J'ai décidé de sauter.»

Pourquoi ne pas avoir fait le saut au provincial ou au fédéral, là où ses amis l'imaginent plus naturellement? Parce qu'il ne se sentirait pas aussi à l'aise, m'explique-t-il. «Je suis très nationaliste. La bataille pour les quotas de chansons de langue française, c'est une des plus belles choses que j'ai faites dans ma vie avec la Convention de l'UNESCO. L'avenir de la nation québécoise, de la culture québécoise et de la langue française me tient vraiment à coeur. Mais je ne suis pas sûr que je me sentirais à l'aise dans l'un ou l'autre des partis. D'un côté, c'est trop centralisateur, de l'autre, il y a une forme de nationalisme qui ne me plaît pas tout le temps chez certaines personnes...»

Au municipal, on peut aller au-delà de ces divisions, observe-t-il. Bien des gens lui ont dit qu'il aurait été plus naturel pour lui de se joindre à l'équipe de Louise Harel, qu'il connaît depuis longtemps. «Nous sommes allés à l'université à la même époque. Je la connais très superficiellement, mais je la connais depuis 40 ans. C'est une personne pour laquelle j'ai beaucoup d'estime, une figure historique non seulement du Parti québécois mais du mouvement souverainiste. Je pense qu'elle a fait de grandes choses.»

Malgré sa sensibilité nationaliste de centre-gauche, Robert Pilon ne se voyait pas militer aux côtés de Louise Harel. «Je ne vais pas juste en politique municipale parce que ça me tente, mais bien parce qu'à mon avis, ce qui va se passer à Montréal dans les cinq ou dix prochaines années est super important.»

Ce qui est crucial, selon lui, dans ce nouveau Montréal né de la valse des fusions-défusions, c'est d'arriver à créer un sentiment d'appartenance ralliant tous les Montréalais, qu'ils soient de l'ancienne ville ou de la nouvelle ville, qu'ils soient francophones, anglophones ou allophones. «Si on veut faire des projets communs, il faut qu'il y ait un sentiment fort d'appartenance. Ça se construit dans le respect. Mais ce n'est pas ce qui a été fait ni au moment des fusions ni au moment des défusions.»

Louise Harel demeure «Mme Fusion» dans l'esprit des gens, souligne-t-il. «Il y a encore du ressentiment. Le projet d'une île, une ville a été mal fait. Cela a été fait de façon bureaucratique. Je crains que Mme Harel veuille le refaire encore de façon bureaucratique.» À ses yeux, Gérald Tremblay est beaucoup plus rassembleur.

Au moment d'annoncer sa candidature, Robert Pilon a dit être «fier» de se présenter pour Gérald Tremblay. Comment demeurer fier quand les scandales qui ébranlent l'hôtel de ville, celui des compteurs d'eau en tête, entachent la crédibilité du maire? «Je suis évidemment préoccupé par ces questions. Mais je pense que Gérald Tremblay a pris les bonnes décisions. J'étais très content qu'il dise: Bon, on arrête tout, on annule, on recommence à zéro. Ça se peut que ça coûte deux millions, trois millions, quatre millions...»

Peut-on encore faire confiance à un maire qui n'était pas au courant de la façon dont s'est conclu le plus gros contrat de l'histoire de Montréal? «Moi, j'ai la conviction que c'est un homme intègre. J'ai la conviction qu'il dit la vérité. Ce n'est pas pour rien que deux cadres supérieurs de la Ville partent. Je pense qu'il y a des gens qui n'ont pas informé les élus alors qu'ils devaient le faire. C'est une grosse machine, Montréal.»

S'il est élu, Robert Pilon sait que son incursion dans la «grosse machine» ne se fera pas sans difficulté. «Je ne rentre pas là en me disant: J'ai des belles idées, dans deux ans, ce sera fait. Je sais que ce sera difficile.»

En même temps, il refuse de croire que la «grosse machine» est immuable. «Si on avait pensé comme ça avec les quotas de chansons de langue française, il n'y aurait plus de chansons françaises à la radio. On l'a rêvé, on l'a fait. Il y a plein de choses à Montréal qu'on peut rêver et qu'on peut faire. Il faut juste prendre les bonnes approches.»