Face à la pandémie de grippe A (H1N1), le Québec et l'Ontario sont comme la cigale et la fourmi, ai-je écrit mardi. Je venais de m'entretenir avec le Dr Redouane Bouali, ex-chef des soins intensifs de l'Hôtel-Dieu, qui a désormais un pied en Ontario et l'autre au Québec. Il s'inquiétait du manque de planification des autorités québécoises. Il me disait que, si une seconde vague de grippe frappait, il préférerait être du côté ontarien.

Le Dr Bouali s'inquiète-t-il pour rien? Pas du tout, me confirme le Dr Tudor Costachescu, chef des soins intensifs au Centre hospitalier de l'Université de Montréal. «Au CHUM, on est prêt. Mais on sera rapidement débordé. Et si on est débordé, il n'y a pas de plan B.»

On prévoit que le quart des patients hospitalisés avec un diagnostic de H1N1 auront besoin de soins intensifs et de ventilation mécanique. Or, il suffirait de huit patients atteints du virus aux soins intensifs du CHUM pour qu'on atteigne un seuil critique, avertit le chef des soins intensifs. Cela pourrait prendre moins de deux semaines. «Au CHUM, nous serons très, très rapidement saturés. Moi, après huit patients, il est certain que je ne serai plus en mesure de faire quoi que ce soit d'autre. Et on parle d'activités qui ne peuvent être faites qu'ici: neurochirurgie, chirurgie cardiaque, greffes, etc.»

Le CHUM a bien sûr son propre plan local pour faire face à la pandémie. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de plan cohérent à l'échelle du réseau, souligne le Dr Costachescu. «La différence, en Ontario, c'est que les plans ne sont pas seulement propres à chaque hôpital. On sait à l'avance que des hôpitaux désignés vont préférentiellement prendre ces patients».

Le Dr Costachescu trouve affligeant que nos gestionnaires n'aient rien appris de la crise du SRAS. Leurs homologues ontariens ont démontré beaucoup plus de leadership, observe-t-il. «Chez nous, au début de l'été, l'Agence de la santé et des services sociaux s'est contentée de pelleter le problème dans la cour des directeurs des services professionnels des hôpitaux en leur disant de faire un plan d'urgence local. Mais il n'y a pas de leadership global à l'échelle de la province.»

Et la pénurie de personnel, dans tout ça? «C'est une autre catastrophe!» dit le chef des soins intensifs du CHUM. Il s'attend à un taux d'absentéisme de 30%. C'est ce qui s'est passé en Australie, où la grippe A (H1N1) a frappé fort cet été. C'est ce qui s'est aussi passé au Manitoba, dont les communautés autochtones ont été durement touchées durant l'été. «Si ça arrive chez nous, on est vraiment dans le trouble», avertit-il.

Au ministère de la Santé, on nous assure que l'on aura les ressources appropriées. Le Dr Costachescu est pour le moins sceptique, le CHUM étant déjà en pénurie d'infirmières spécialisées. «La caractéristique des soins intensifs de tous les centres universitaires, c'est que nous fonctionnons sur la lame du couteau, sans aucune marge de manoeuvre. Nos taux d'occupation sont toujours de 100%, c'est-à-dire que toutes nos infirmières sont occupées en permanence. Alors qu'en Ontario, on fonctionne avec des taux d'occupation avoisinant les 85%. Il y a toujours une infirmière et demie qui peut être dégagée pour autre chose. Nous n'avons pas ce luxe.»

La première vague de H1N1 en juin aurait dû servir d'avertissement aux gestionnaires de la santé. «Il a suffi de deux patients au début de l'été pour qu'on ne soit plus capable de faire de chirurgie cardiaque pendant plus de deux semaines à l'hôpital Notre-Dame. Ça nous a littéralement paralysés», souligne le Dr Costachescu.

Pourquoi? Parce que même si la mortalité associée au H1N1 demeure très basse, ceux qui sont malades sont très malades, ils le demeurent longtemps et mobilisent des ressources monstres.

Au moment où la première vague a frappé, au CHUM, on a sonné l'alarme auprès de l'Agence de santé et des services sociaux, raconte le Dr Costachescu. «On leur a dit: on a un sérieux problème. Non seulement un problème de ressources, mais aussi des problèmes éthiques. Si on a un transplanté et un patient H1N1, lequel on va prioriser?»

Qu'a fait l'Agence? «Elle a traîné les pieds tout l'été», dit le chef des soins intensifs, qui précise qu'on l'a finalement invité à participer hier après-midi à une conférence téléphonique sur la pandémie. «Mais écoutez, on est en octobre!» Si le virus respecte le cycle épidémique habituel, la deuxième vague devrait frapper de plein fouet fin octobre, début novembre, avertit-il. Est-il possible de monter un plan cohérent en si peu de temps? Il en doute. «On est pas mal sous les 12 coups de minuit.»

J'ai tenté d'avoir des éclaircissements de la part de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Réponse: «Nous ne sommes pas prêts à donner l'information», m'a dit la porte-parole, en précisant qu'il y aura une conférence de presse dans une semaine ou peut-être même deux. Mais qu'en est-il de votre plan régional? «Le plan est en marche depuis plusieurs années», m'a-t-on dit. Tellement «en marche» qu'on semble l'avoir perdu en chemin.