«Excusez mon apparence.»

C'est la première chose que m'a dite Guylaine St-Onge quand je suis entrée dans sa chambre d'hôpital. Devant moi, allongée sur un lit de l'unité des soins intensifs, une rouquine de 35 ans au regard déterminé. Elle porte une chemise d'hôpital. Elle est branchée sur plusieurs machines. Elle sourit. À ses côtés, son mari, Gilles de Sève, les yeux brillants. Sur le mur, des photos et des dessins de leurs trois enfants.

Guylaine n'a pas à se soucier de son apparence. Elle est une magnifique survivante. «Je ne voulais pas mourir. Je ne veux pas mourir. Une mère n'a pas le droit de mourir», souffle-t-elle d'une voix encore affaiblie par la maladie.

 

Guylaine a failli mourir des complications d'une grippe H1N1 attrapée en octobre. Maintenue dans le coma, sous respirateur, pendant plus de deux mois, elle a eu un regain de vie inespéré dans la semaine de Noël. Au réveil, elle avait tout oublié. Elle ne savait pas où elle était. Elle qui n'avait fréquenté l'hôpital que pour des accouchements s'est imaginé qu'elle venait d'avoir un enfant. «Comment on l'a appelé, notre quatrième? a-t-elle demandé, confuse, à son mari.

- Guylaine, on a trois enfants, pas quatre!» lui a dit Gilles.

Ils rient tous les deux en racontant l'histoire de ces hallucinations. D'un rire de survivants qui n'ont pas ri depuis longtemps.

Tout a commencé en octobre par un banal mal de gorge. C'était avant que la campagne de vaccination ne soit lancée. Guylaine trouvait que les gens s'énervaient pour rien. Elle a commencé à tousser un peu. Puis un peu plus. Une toux de plus en plus creuse.

Elle qui n'avait jamais été malade s'est finalement rendue à l'hôpital de Valleyfield, près de chez elle. On lui a dit de se reposer et de revenir si ses symptômes s'aggravaient. Dans la nuit, elle s'est mise à vomir. Le lendemain, c'était pire. Le surlendemain, pire encore. Elle était à bout de souffle. Fou d'inquiétude, Gilles a appelé son pharmacien pour lui demander conseil. Il l'a encouragé à retourner à l'hôpital le plus vite possible.

À l'hôpital de Valleyfield, Guylaine a fait un arrêt cardiaque. On a réussi à la réanimer. Elle a été mise sous respirateur. Ses poumons étaient gravement atteints. L'infection, déjà grave, était doublée d'une surinfection pulmonaire au streptocoque A - la fameuse bactérie mangeuse de chair.

Guylaine est restée hospitalisée plus de deux semaines à Valleyfield. Puis elle a été transférée à l'hôpital Notre-Dame du CHUM, à Montréal. «Quand elle est arrivée ici, on ne donnait pas cher de sa peau», raconte Gilles.

Elle n'avait que 10% de chances de s'en sortir. Ses poumons étaient comme de la brique, raconte le Dr Tudor Costachescu, chef des soins intensifs du CHUM. «Ils ne faisaient pas du tout le travail. On avait très peur qu'elle ne s'en sorte pas.»

Guylaine a été maintenue dans le coma parce que, dès qu'elle se réveillait le moindrement, elle commençait à lutter contre le respirateur et il n'y avait plus moyen de l'oxygéner. On l'a gardée ainsi endormie pendant deux mois. Pas de réveil, pas de contact avec le monde extérieur, rien.

Toujours à son chevet, Gilles s'accrochait malgré tout. Il était aux petits soins avec sa bien-aimée. Il lui tenait la main, lui faisait les ongles, lui massait les pieds. Il priait. Il lui allumait des lampions. Aussi, comme les enfants ne pouvaient être admis à l'hôpital, il avait décidé de les filmer et de montrer les images à Guylaine pendant qu'elle dormait. Des images de Cassandra, 8 ans, Océane, 6 ans, et Alexandre, 2 ans, qui disent: «Maman, on t'aime. On t'embrasse.» Il filmait aussi Guylaine pour pouvoir montrer les images aux enfants, qui se demandaient quand leur mère allait revenir les border. Le petit de 2 ans embrassait l'image à l'écran. Il ne faisait plus ses nuits depuis que sa maman avait «un bobo».

Tranquillement, contre toute attente, Guylaine s'est mise à prendre du mieux, défiant les pires pronostics. Peu avant Noël, l'équipe médicale a réussi à la réveiller suffisamment pour avoir un contact avec elle. «Elle a vraiment émergé dans la semaine de Noël. C'était quasiment miraculeux», raconte le Dr Costachescu.

Le 24 décembre, le chef des soins intensifs a accepté que Cassandra et Océane viennent enfin voir leur maman à l'hôpital, après deux mois d'inquiétude et de silence. Cassandra, l'aînée, solide comme le roc, a pris la main de sa mère. La petite Océane était à ses côtés. Guylaine a pu rassembler ses forces pour leur dire un seul mot: «Bonjour.» Un mot qui valait mille lettres d'amour. Cassandra était heureuse d'entendre la voix de sa mère. Tout le personnel des soins intensifs était ému. L'équipe médicale s'est mise à applaudir. Les infirmières pleuraient. Océane s'est mise à pleurer elle aussi.

Si tout va bien, Guylaine, qui a marché pour la première fois cette semaine, pourra obtenir son congé de l'hôpital d'ici à trois semaines. «C'est un nouveau départ», dit Gilles, qui remercie du fond du coeur tous ceux qui les ont aidés dans cette épreuve. L'équipe des soins intensifs au CHUM et celle de l'hôpital de Valleyfield, qui ont sauvé la vie de Guylaine. Les proches qui se sont relayés pour prendre soin des enfants et leur changer les idées. Genco, l'employeur de Gilles, qui a été très compréhensif. Les collègues et les amis qui ont envoyé des mots d'encouragement.

«On ne voit plus la vie de la même façon», me souffle Guylaine. Elle était de ces supermamans qui avaient tendance à en faire trop, jusqu'à l'épuisement. Elle veut maintenant profiter de la vie davantage, rattraper le temps perdu avec ses enfants. «Le ménage et le lavage peuvent attendre!»

Guylaine et Gilles se promettent aussi de faire tout de suite ce qu'ils ont toujours remis à plus tard. Ils feront ce voyage en Europe dont ils ont toujours rêvé. Ils ouvriront cette bouteille de champagne reçue à leurs fiançailles, qu'ils n'ont jamais osé ouvrir - ils attendaient «la» grande occasion. Y a-t-il plus grande occasion que celle d'être en vie avec ceux qu'on aime, après avoir frôlé la mort?