Pendant des années, des villes au destin incertain ont payé très cher le gourou urbain Richard Florida pour qu'il leur explique comment attirer de jeunes professionnels de la «classe créative» pour assurer leur essor. Aujourd'hui, le même Florida semble ne plus croire à sa propre théorie et considère que ces mêmes villes, auxquelles il n'offre malheureusement aucun remboursement, sont, finalement, sans grand avenir.

Un fumiste, Richard Florida? La question est relancée à la suite de la publication, la semaine dernière, d'un article particulièrement assassin du magazine American Prospect. L'article s'intitule «The Ruse of the Creative Class». Un titre qui pastiche de façon ironique le titre du best-seller de Florida, The Rise of the Creative Class (Basic Books, 2002).

 

Florida, qui est maintenant professeur de business et de «créativité» à l'Université de Toronto, y défend la thèse selon laquelle les villes les plus dynamiques sont celles qui réussissent à attirer des gens créatifs. Et que veulent ces gens? Ils seraient à la recherche de villes ouvertes aux idées nouvelles, où on trouve des artistes, des immigrés et des gais.

L'ennui, c'est que cette idée originale, qui n'est pas inintéressante en soi, est devenue un véritable fonds de commerce. Le professeur d'économie urbaine a cédé le pas à l'entrepreneur charismatique en lui. Pour mesurer la créativité des villes, il a mis au point une série d'indices, dont l'indice «bohémien», qui mesure la proportion d'artistes qui y vivent. Ses séduisantes théories ont connu un succès fou auprès de décideurs de nombreuses villes. Il a su exploiter habilement ce succès en créant Catalytix, une entreprise de consultants. Théorie miracle en poche, Florida a fait le tour du monde, pour aller susurrer à fort prix aux oreilles de villes complexées ce qu'elles voulaient bien entendre.

Il y a cinq ans, j'avais assisté, sceptique, à la conférence que Florida avait donnée à Montréal. Pour 200 000$US, il avait accepté, à l'invitation de Culture Montréal, de se pencher sur le cas de notre ville. Il avait déclaré qu'elle est «l'un des secrets les mieux gardés en Amérique du Nord». Il classait alors Montréal numéro 2 au palmarès des villes nord-américaines «super créatives», loin devant New York et Los Angeles.

Florida m'avait alors fait penser à un coureur de jupons qui fait croire à chaque femme qu'il rencontre qu'elle est la plus belle. Lui était-il déjà arrivé de se rendre quelque part et de dire: «Désolé, je ne peux rien pour votre ville»? avais-je demandé. «Non, ce n'est jamais vraiment arrivé», s'était empressé de répondre son associé en faisant valoir que les gens méconnaissent en général le secteur créatif de leur économie. Voilà qui tombait bien puisque, en échange de quelques milliers de dollars, Florida et son équipe promettaient de révéler aux villes déchues leur créativité cachée.

Ainsi, partout où il passe, Florida distribue des compliments à fort prix. Quand il parle à Montréal, il dit que Montréal est formidable. Quand il parle à Toronto, il dit que Toronto est formidable. Et quand il parle à Sackville, petite ville de 5000 personnes au Nouveau-Brunswick, il dit que cette ville «à la fine pointe» n'a rien à envier à Toronto.

Est-ce que Montréal, comme bien d'autres, s'est fait rouler par Florida? Bien qu'il soit assez critique par rapport à la méthode Florida, Simon Brault, de Culture Montréal, croit que Montréal a pu tirer profit de sa recherche sans pour autant boire aveuglément ses paroles. «Nous n'avons pas payé comme d'autres des sommes extravagantes pour recevoir des conseils désincarnés.» L'étude que Florida a produite sur Montréal faisait partie d'un plan d'intervention dirigé par Culture Montréal, rappelle-t-il. Le processus était plus intéressant que la conférence. Cela a notamment permis de créer de nouveaux liens entre la communauté des affaires et le milieu de la culture. Ce n'est pas perdu.

Cela dit, si Florida a permis de renouveler le discours sur la culture au début des années 2000 et d'influencer bon nombre de décideurs, son étoile a bien pâli depuis. Lui-même ne semble plus croire à la théorie qu'il a vendue pendant toutes ces années. Dans un article publié dans The Atlantic, il dit que l'économie américaine a créé une nouvelle géographie qui favorisera certaines villes et laissera en plan les autres. Ultimement, écrit-il, il est clair que l'on ne pourra freiner le déclin de certaines villes. Il serait même ridicule d'essayer de le faire, affirme-t-il. La récession a décimé tant de villes américaines qu'il faut, pour limiter les dégâts, favoriser la croissance des régions déjà prospères comme Silicon Valley.

Voilà qui ne fait pas particulièrement plaisir aux villes qui ont acheté les conseils du gourou et tenté de les suivre avant qu'il ne déclare qu'ils étaient ridicules. Ce qui rappelle à nos décideurs une leçon qui vaut toujours la peine d'être révisée: méfiez-vous des gourous qui vendent des baguettes magiques à fort prix. Si c'est trop beau pour être vrai...

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca