À qui faire un don pour panser les plaies d'Haïti? me demande un lecteur, en précisant qu'il aimerait s'assurer que son don servira bel et bien au soutien de ceux qui en ont tant besoin - «c'est-à-dire pas perdu dans des dédales administratifs ou dans les poches de fourbes».

Si la tragédie haïtienne crée des élans de solidarité et incite bien des gens à être généreux, on sent en même temps chez plusieurs une certaine prudence, pour ne pas dire de la réticence. Personne n'est contre la vertu. Mais personne n'a envie non plus que l'argent envoyé pour une juste cause serve à autre chose.

 

Que dites-vous aux sceptiques? ai-je demandé au psychiatre Nicolas Bergeron, président de Médecins du monde Canada, dont les bureaux haïtiens ne se sont heureusement pas écroulés dans le tremblement de terre.

Le Dr Bergeron reconnaît que le monde de l'humanitaire a connu son lot d'erreurs, et même d'horreurs. Des erreurs et des horreurs qui ont malheureusement ébranlé la confiance des gens. Que l'on pense au radiothon organisé dans l'urgence en 2004, à la suite de l'ouragan Jeanne, par la radio communautaire CPAM et l'Organisme d'entraide canado-haïtien. Bien après le passage du cyclone, le demi-million amassé dormait toujours à la banque. Des donateurs se sont sentis trahis.

Dans les dernières années, le scandale qui a fait le plus de tort aux organismes humanitaires est celui de l'Arche de Zoé. En 2007, des membres français de cette association avaient tenté d'enlever 103 enfants pour les emmener en Europe, en les faisant passer pour des orphelins du Darfour. Or, les enfants étaient tchadiens, et la majorité d'entre eux avaient au moins un parent.

Tout cela n'est évidemment pas une raison pour s'abstenir d'être généreux. L'aide humanitaire n'est pas faite que de dérives et de gens qui exploitent le marché du bon sentiment. Au revers de l'humanitaire-spectacle, il y aussi des gens qui, on le voit aujourd'hui en Haïti, font un travail admirable et essentiel. «Dans les organisations qui existent depuis longtemps, qui appartiennent à des réseaux extrêmement crédibles avec qui les relations de confiance sont connues, en général, il faut avoir confiance», dit le Dr Bergeron. Il le faut, oui.

Si certaines initiatives citoyennes, le plus souvent bien intentionnées, peuvent sembler sympathiques, on comprendra que, dans l'urgence, devant l'ampleur de la catastrophe, il est plus sage de donner à des organisations qui ont fait leurs preuves, comme la Croix-Rouge. C'est bien sûr aussi le cas de Médecins du monde, qui est en Haïti depuis 10 ans, dont cinq ans dans le bidonville de Cité-Soleil. «La population haïtienne nous connaît bien, les bailleurs de fonds nous connaissent bien, la population québécoise aussi. L'argent va sur le terrain, c'est clair», assure le Dr Bergeron. Les frais d'administration oscillent entre 8 et 13%. Et comme les médecins sont bénévoles, l'argent sert avant tout à l'achat de médicaments et de matériel. Il sert aussi à assurer la logistique et le transport des équipes sur le terrain.

Médecins du monde aimerait envoyer une troisième équipe d'urgence du Québec. «Mais on n'a pas l'argent», dit le Dr Bergeron. Pour le moment, l'organisme peut compter sur une équipe déjà en place à Cité-Soleil. Une autre équipe qui travaillait en République dominicaine a été dépêchée hier en Haïti. «Cette équipe sera capable de faire de la chirurgie mineure, d'offrir des soins de base... Bref, on est dans la survie.»

On est dans la survie mais, d'une certaine façon, malgré l'urgence, la vie continue, rappelle du même souffle le psychiatre. D'où l'importance de continuer à offrir des soins de base. «Évidemment, les femmes continuent à accoucher...» Alors que l'on pleure des morts et cherche des disparus, des bébés naissent aussi. Grâce à Médecins du monde, certains pourront voir le jour dans des conditions sanitaires acceptables. Dans l'horreur, c'est au moins ça de pris.