«Bienvenue chez nous...Mais de grâce, restez chez vous.» Voilà ce que semble dire le gouvernement canadien aux Haïtiens qui voudraient quitter leur île à la suite du tremblement de terre.

Le message officiel lancé par le ministre canadien de l'Immigration lundi était bien sûr un message de solidarité et de compassion à l'endroit du peuple haïtien. Jason Kenney a parlé de «mesures spéciales» et de «traitement prioritaire» pour les dossiers de réunification des familles haïtiennes. Dans les faits, au-delà du beau discours, les mesures annoncées ne sont malheureusement pas d'un grand secours pour les victimes du séisme et leurs proches.

 

Une situation exceptionnelle commande des mesures exceptionnelles. «Qu'est-ce que je réponds à ma mère qui me dit: J'ai survécu au tremblement de terre, mais là, je vais mourir de faim?» La question troublante posée à Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti à Montréal, illustre bien le désarroi de la communauté haïtienne et l'urgence d'agir. Or, pour l'heure, comme l'a bien dit Mme Villefranche, Ottawa n'a offert qu'une «réponse froide et administrative» au désarroi de la communauté.

Pour le moment, le chemin tracé par les autorités canadiennes pour les Haïtiens qui voudraient trouver refuge au Canada reste semé d'embûches. En fait, il y a tant d'embûches que le ministre lui-même n'ose pas dire dans combien de temps les premiers Haïtiens qui bénéficieront d'un «traitement prioritaire» pourront mettre les pieds au Canada. Plus de quelques jours, mais moins de quelques années, a-t-il dit.

Survivre à un tremblement de terre est une chose. Survivre au dédale administratif d'Immigration Canada en est une autre. Quand on sait que le traitement des demandes prend déjà au moins deux ans quand tout va bien, on se demande ce que ce sera maintenant que les documents de milliers d'Haïtiens sont perdus dans les décombres.

Officiellement, Ottawa dit donc vouloir accélérer le traitement des demandes de réunification familiale. Dans les faits, les règles demeurent les mêmes, c'est-à-dire beaucoup trop restrictives dans les circonstances. Documents perdus ou pas, Immigration Canada n'entend pas par exemple alléger les examens de sécurité requis pour toute personne qui veut immigrer au pays. Or, ces contrôles prennent déjà beaucoup de temps et coûtent très cher. Ils en prendront sans doute encore plus faute de documents officiels.

On dira bien sûr qu'il serait risqué d'escamoter l'étape des examens de sécurité. Mais, comme me l'a rappelé hier le professeur de droit international François Crépeau, il y a une part d'hypocrisie dans le discours actuel sur la sécurité aux frontières. «Les États utilisent beaucoup les contrôles de sécurité de façon rhétorique pour rassurer les populations contre des tas de risques réels ou imaginaires. Mais en fait, ce n'est pas par les règles d'immigration que notre sécurité est assurée. C'est par le renseignement de sécurité, par l'infiltration, par les taupes.»

Si les autorités canadiennes voulaient vraiment faciliter la venue au pays de victimes du tremblement de terre, elles pourraient très bien alléger les contrôles de sécurité pour un certain nombre de familles éprouvées.

Autre obstacle qui risque de ralentir le traitement «accéléré»: Citoyenneté et Immigration Canada refuse de renoncer aux examens médicaux obligatoires pour qui veut immigrer au pays. À l'heure où Haïti a plus que jamais besoin de personnel soignant pour les victimes du tremblement de terre, va-t-on vraiment demander à des médecins capables de sauver des vies de faire des examens médicaux de routine pour Immigration Canada? Ne pourrait-on pas plutôt délivrer des visas temporaires afin que les victimes puissent arriver ici le plus vite possible, quitte à passer l'examen médical à leur arrivée?

Le gouvernement canadien pourrait à tout le moins être cohérent et offrir aux Haïtiens le traitement que l'on avait offert aux victimes du tsunami en janvier 2005. On avait alors accepté de considérer cas par cas les demandes de parrainage de membres de la famille élargie. Ottawa refuse de le faire pour les Haïtiens, malgré les pressions de Québec pour élargir les critères de réunification familiale. Si on suit les règles actuelles, un Canadien d'origine haïtienne qui souhaiterait par exemple faire venir ici son frère, sa soeur ou sa tante dans le besoin ne le peut pas. Pourquoi?

Au lendemain du tsunami, Ottawa avait aussi levé tous les frais de traitement des demandes pour les ressortissants des pays touchés. Immigrer au Canada coûte cher. Si on veut vraiment faciliter la venue d'Haïtiens éprouvés par le séisme, pourquoi n'a-t-on pas fait de même? Qu'attend-on au juste?

C'est très gentil d'ouvrir la porte aux victimes du tremblement de terre. Encore faudrait-il que ces gens puissent vraiment se frayer un chemin jusqu'à la porte.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca