C'est une histoire parmi mille qui met en lumière des aberrations de notre système d'éducation. Des aberrations aux conséquences très graves pour de nombreux élèves qui ne manquent pourtant pas de talent.

C'est l'histoire d'Emdadul. Né au Bangladesh, atterri dans le quartier Côte-des-Neiges à l'âge de 9 ans. Un garçon sage et intelligent, au sourire timide. Un garçon dyslexique aussi. Mais cela, durant neuf ans sur les bancs d'école, du primaire au secondaire, aucun intervenant scolaire n'a malheureusement pu le détecter.

 

Emdadul est passé de classe d'accueil en classe de cheminement particulier sans que personne ne signale quoi que ce soit. Il a accumulé deux ans de retard qui auraient pu être évités. À 15 ans, il était encore en première secondaire à l'école La Voie. Il allait pleurer dans le bureau de la conseillère en orientation. Il était dépressif. Entouré d'élèves beaucoup plus jeunes que lui, il se sentait humilié. L'amour-propre à zéro, Emdadul avait des idées suicidaires. Il dit lui-même que, s'il n'avait pas rencontré Lise, il se serait suicidé.

Lise, c'est Lise L'Heureux, sa bonne étoile. Une femme énergique et dévouée qui était alors une «Grande Soeur» bénévole. L'école a fait appel à elle pour aider Emdadul, qui était visiblement en détresse. Mais Lise, qui s'intéressait de près à la dyslexie, a vite vu l'éléphant qui se cachait derrière cette détresse. Emdadul avait beau récolter des méritas à l'école, il avait aussi de graves difficultés en lecture. À 16 ans, il excellait en mathématiques, mais il ne savait pas que la lettre O faisait le son O. Comment se faisait-il que personne jusque-là ne l'ait remarqué? Comment se fait-il qu'il n'ait pas pu, pendant toutes ces années, recevoir d'aide particulière?

Comme Emdadul est un élève sage, il a passé sous le radar. Ses parents, qui maîtrisent peu le français, ne pouvaient l'aider davantage. Il a eu la chance de tomber sur Lise, qui est devenue son mentor. Depuis trois ans, cette femme qui termine une maîtrise en didactique des langues aide Emdadul non seulement à lire et à écrire, mais aussi à retrouver sa fierté. Grâce à elle, il sait qu'il peut très bien décrocher un diplôme universitaire, même si on a tenté de lui faire croire le contraire.

En décembre 2008, Emdadul a finalement eu son diagnostic de dyslexie à la clinique de psychologie de l'Université de Montréal. «Une fois que j'ai compris que j'étais dyslexique et pas stupide, ça allait mieux», raconte-t-il. Il termine maintenant son secondaire à l'éducation des adultes, où il obtient enfin tout le soutien dont il a besoin.

Comment un élève peut-il ainsi passer à travers les mailles du filet durant tout son secondaire? Réponse aux airs de faux-fuyant du porte-parole de la Commission scolaire de Montréal, Alain Perron: «Nous n'avons pas de données selon lesquelles cet élève est dyslexique.» C'est bien là le problème. Ignorance, incompétence ou indifférence, allez savoir...Chose certaine, entre le discours officiel de la CSDM (qui prétend intervenir efficacement grâce à une équipe multidisciplinaire orthopédagogue-psychologue-orthophoniste) et la réalité (pénurie d'orthophonistes, manque de ressources adaptées, délais inacceptables), il y a un gouffre où se perdent trop d'élèves dont les parents n'ont pas les moyens de se battre ou de se tourner vers le privé.

Bon an, mal an, à la CSDM, les deux tiers des garçons n'ont pas de diplôme d'études secondaires après cinq ans. Les deux tiers! Au Québec, 34% des garçons n'ont aucun diplôme à l'âge de 20 ans. Il est clair qu'un certain nombre parmi eux ont des problèmes spécifiques de lecture qui n'ont pas été détectés, observe Égide Royer, psychologue et chercheur à l'Université Laval.

Le problème est aussi controversé que complexe, comme en témoignent les articles de ma collègue Ariane Lacoursière. Mais il n'est pas insoluble pour autant. Des solutions existent, pour peu que l'on s'y attarde. Les études montrent que l'intervention précoce est la plus efficace. Bien des aménagements peuvent être mis en place, surtout depuis l'avènement des outils technologiques, explique Marie-Danielle Lemieux, intervenante scolaire qui travaille dans le domaine depuis plus de 30 ans. Un plan de rééducation adapté peut faire des miracles. «On reconnaît aujourd'hui qu'il est possible de modifier le patron d'activation cérébrale (plasticité cérébrale) chez les dyslexiques», note-t-elle.

Pourquoi ne pas mettre en place un dépistage systématique dès la première année du primaire, comme cela se fait en Finlande ou en France? «On devrait mettre nos meilleurs enseignants en première année», répète souvent avec raison Égide Royer. Il faut absolument que les enseignants soient formés pour faire du dépistage, ce qui n'est pas le cas en ce moment, déplore-t-il.

Il faudrait aussi abolir la règle absurde qui veut que l'on attende que l'enfant ait deux ans de retard avant d'intervenir. «Attendre jusqu'au début de la troisième année pour intervenir auprès d'un jeune qui a un retard de lecture, c'est prendre un risque énorme», confirme Égide Royer.

Il faudrait aussi redresser la barre à l'école secondaire, où les dyslexiques sont trop souvent laissés à eux-mêmes, sans ressources. Au préscolaire, au primaire et même au collégial, le personnel est davantage sensibilisé au problème.

On dira que ces mesures coûtent trop cher. C'est oublier que le décrochage coûte plus cher encore. Le plus grave, ce n'est pas la dyslexie. Le plus grave, c'est de ne pas s'en occuper. Il reste à espérer que la ministre Michelle Courchesne, qui a refusé de répondre à nos questions en raison du recours collectif lancé par les parents d'élèves dyslexiques, mette fin à ces économies qui n'en sont pas.

rima.elkouri@lapresse.ca