Le conseil de bande de Kahnawake prétend que sa décision d'expulser les non-Mohawks de la réserve n'a rien de raciste. Si ce n'est pas raciste, on se demande bien ce que c'est.

Ceux qui appuient cette décision, dans laquelle ils ne voient qu'un geste légitime de défense identitaire, auraient tout intérêt à regarder le documentaire Club Native, de la réalisatrice Tracey Deer (1).

 

Tracey Deer est une cinéaste mohawk de 31 ans. Elle vit à Kahnawake. Elle est très fière de sa communauté et de son héritage culturel. Ce qui ne l'empêche pas de croire qu'il est honteux que des autochtones, qui ont eux-mêmes subi tant de racisme, en soient arrivés à s'imposer eux-mêmes de telles règles d'exclusion.

Dans son film, qui lui a valu un prix Gemini en 2009, la cinéaste montre très bien l'absurdité des critères de pureté sanguine, hérités de la loi sur les Indiens, qui permettent d'accéder (ou pas) au «club autochtone». Elle le fait en donnant la parole à des femmes mohawks qui luttent pour leur droit à l'appartenance. Des femmes qui, avant de se dire autochtones par le sang à 30%, 50% ou 90%, considèrent qu'elles sont des êtres humains à 100% dont la vie amoureuse n'a pas à être subordonnée à des choix politiques.

Club Native nous fait notamment entendre le témoignage émouvant de l'ex-athlète olympique de water-polo Waneek Horn-Miller. Elle qui a été très marquée par la crise d'Oka en 1990 - elle y a été blessée à la poitrine par la baïonnette d'un soldat - raconte qu'elle a grandi en sachant très bien qu'elle devait avoir des enfants autochtones. Une question de fierté, d'héritage, de lignée. Mais quand elle est tombée amoureuse du champion de judo Keith Morgan, charmant «mais» blanc, elle s'est retrouvée déchirée entre son éducation et la réalité. Finalement, même si cela déplaisait à sa communauté, elle a décidé qu'elle ne voulait pas avoir à choisir entre l'amour et sa communauté. Elle se battrait pour avoir les deux.

Choisir entre l'amour et sa communauté, c'est bien ce que l'on demande aujourd'hui à Kahnawake. Les 26 personnes visées par l'ordre d'expulsion du conseil de bande sont pour la plupart des Blancs en couple avec un Mohawk (voir l'article de ma collègue Louise Leduc). Pour prétendument assurer la survie identitaire de la réserve, le conseil de bande propose pour ainsi dire de briser des familles.

J'ai lu Louis Bernard, qui, dans une lettre ouverte au Devoir, justifie cet ordre d'expulsion: «Nous sommes près de six millions de Québécois francophones. Et nous craignons pour notre sécurité identitaire, comme l'a constaté la commission Bouchard-Taylor. Ils ne sont que huit mille Mohawks à Kahnawake. Comment pourraient-ils permettre que, par mariage ou cohabitation, de plus en plus de non-Mohawks viennent s'établir sur leur territoire?»

Pour ma part, je me demande comment on peut avoir une vision aussi obtuse de l'identité en 2010. Car contrairement à ce que dit Louis Bernard, la décision du conseil mohawk n'a rien à voir avec celle du Québec, tout à fait légitime, d'adopter la Charte de la langue française. C'est une décision fondée sur l'idée que le sang est plus important que la culture et que l'identité est innée et non acquise. Bref, c'est n'importe quoi.

Aussi inhumaine et raciste soit-elle, la décision du conseil de Kahnawake est d'une certaine façon logique, dans la mesure où les Mohawks agissent ici en conformité avec le principe même qui les gouverne. La Loi sur les Indiens a instauré un système d'apartheid administratif et symbolique qui, rappelle-t-on dans le film Club Native, aurait même inspiré le régime d'apartheid sud-africain. En perpétuant ce modèle injuste, le conseil mohawk renvoie à la face de l'État canadien ses propres lois. Il y a là, comme l'a justement noté la dissidente mohawk Ellen Gabriel, une colonisation de l'esprit qu'il faut dénoncer. D'un côté du pont Mercier comme de l'autre.

(1) On peut trouver le film Club Native à l'ONF (www.onf.ca/boutique) ainsi qu'à la Cinérobothèque (1564, rue Saint-Denis, à Montréal).

rima.elkouri@lapresse.ca