Qui police la police? À lire le rapport dévastateur de la protectrice du citoyen sur les enquêtes lors d'incidents impliquant des policiers, on a l'impression que, malgré les appels répétés au grand ménage dans le domaine, la poussière continue de s'accumuler. Et que sans un changement profond de culture et de pratiques, l'absence de réponse claire à cette question fondamentale continuera de mettre à rude épreuve la confiance des citoyens.

Le titre du rapport évoque sans les nommer les maux qui minent le système: Pour un processus crédible, transparent et impartial qui inspire confiance et respect. Sous-entendu: les enquêtes actuelles de la police sur la police ne sont, aux yeux du public, ni crédibles, ni transparentes, ni impartiales. Par le fait même, elles n'inspirent pas toujours la confiance et le respect.

 

Le problème, ce n'est pas que les enquêtes de police sur la police soient nécessairement mal faites, prend bien soin de préciser le rapport. Le problème, c'est que l'on n'a aucune garantie qu'elles le sont. Or, cette garantie est cruciale tant pour le citoyen, qui doit avoir confiance en ses policiers, que pour les policiers, dont la crédibilité peut être ternie. En ce sens, dans ses recommandations, la protectrice du citoyen ne fait pas que protéger le citoyen. Elle veut aussi s'assurer de protéger la crédibilité du policier.

Si le débat a été ravivé par la mort de Fredy Villanueva à Montréal-Nord, il est loin d'être nouveau. Extrait des audiences du Comité sur les relations entre les services policiers et les minorités, il y a plus de 20 ans: «Il y a des impératifs de transparence et de crédibilité qui ne sont présentement pas respectés. (...) Ce n'est pas que le travail soit mal fait. Quand bien même vous auriez le meilleur système du monde, qu'on vous livrerait les meilleures statistiques, si le citoyen n'a pas confiance, on a un problème, Monsieur le président», a dit le président du comité des plaintes du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal à la commission Bellemare...en 1988.

Vingt-deux ans plus tard, quoi de neuf? Comment faire en sorte que le citoyen ait confiance? Chose certaine, il faut certainement faire autrement, observe avec raison la protectrice du citoyen après avoir mis en lumière les nombreuses failles du système actuel. De petits coups de plumeau ne suffiront pas à dissiper le nuage de poussière. Tenter de cacher le désordre dans un placard non plus. Il faut sortir le grand balai, comme l'ont déjà recommandé les commissions Bellemare, Corbo et Poitras.

La protectrice du citoyen rappelle notamment qu'il n'y a en ce moment aucune garantie quant à l'impartialité des enquêtes menées en vertu de la politique ministérielle. Il arrive que des enquêteurs traitent différemment les civils et les policiers impliqués dans un incident. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Villanueva. Les témoins civils ont été isolés et plusieurs ont été interrogés le soir même. Mais pas les policiers.

«Nous, les policiers, on est honnêtes», a dit l'agent de la Sûreté du Québec responsable de l'enquête pour justifier cette façon de faire. À quoi bon une enquête, alors?

Que faire pour garantir impartialité et transparence? S'inspirant entre autres du modèle ontarien, la protectrice du citoyen recommande la création d'un bureau des enquêtes spéciales, indépendant des services de police. Un bureau constitué de policiers à la retraite et de civils qualifiés qui, à long terme, seraient majoritaires.

Même si le modèle ontarien est loin d'être parfait, la proposition mérite d'être étudiée sérieusement par le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis. Mais pour qu'il ait envie de le faire, encore faudrait-il qu'il reconnaisse les failles du système actuel. «À ma connaissance à moi, les enquêtes qui sont faites par les corps de police sur des corps de police sont faites de façon objective», a-t-il dit mardi lors d'un point de presse. Si le ministre considère que le fait de traiter différemment les citoyens et les policiers dans une enquête criminelle - parce que «nous, les policiers, on est honnêtes» -, il aurait intérêt à revoir sa définition de l'objectivité.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca