Pitoyable défense que celle du ministre Tony Tomassi mardi à la suite des révélations de La Presse Canadienne sur des garderies à vocation religieuse subventionnées par Québec. Plutôt que de reconnaître l'absurdité du financement de telles garderies par l'État alors qu'il a déconfessionnalisé les écoles, le ministre de la Famille a préféré se réfugier dans l'aveuglement volontaire.

Vu la piètre feuille de route du gouvernement Charest en matière de laïcité, on se serait attendu à ce qu'il ait au moins tiré quelques leçons de ses erreurs. Hélas, il semble que non. Chaque fois qu'une telle affaire surgit, le gouvernement semble pris au dépourvu, comme s'il affrontait la toute première tempête du genre. Comme si, près de deux ans après le rapport Bouchard-Taylor, il n'avait pas encore tout à fait saisi l'importance de son rôle d'arbitre dans une société laïque. Comme s'il n'avait pas encore compris que la stratégie qui consiste à balayer sous le tapis les questions délicates ne les règle pas, bien au contraire.

Petit résumé des faits pour ceux qui n'ont pas suivi le dernier épisode du feuilleton québécois de la laïcité floue : selon ce qu'a appris La Presse Canadienne, Québec finances des garderies où l'apprentissage des rites et des dogmes religieux fait partie du programme éducatif. On cite notamment l'exemple du CPE juif ultra-orthodoxe Beth Rivkah, dont le programme éducatif est basé sur l'apprentissage de la Torah. On cite aussi le cas d'une garderie privée subventionnée chapeautée par L'Association islamique des projets charitables. Le but de cette association, tel qu'il est énoncé dans le registre des entreprises, est de «propager l'enseignement islamique parmi les musulmans et les non-musulmans».

Il est pour le moins incohérent qu'une société qui a déconfessionnalisé ses écoles finance l'enseignement religieux et le communautarisme pour ses tout-petits. La laïcité qui vaut pour le système d'éducation ne vaut-elle pas aussi pour les garderies? Où sont donc les balises?

«On est une société inclusive», dit M. Tomassi pour justifier son inaction. Justement, il faudrait être conséquent. Il n'est pas question ici de remettre en question le droit d'un citoyen d'élever ses enfants dans la religion de son choix. Ce qui est absurde, c'est que l'État finance des programmes religieux d'éducation - parfois même sectaires - qui vont à l'encontre des fondements mêmes de notre système d'éducation. On ne peut au nom d'un prétendu respect de la société inclusive encourager des garderies ou des écoles qui favorisent la ségrégation scolaire et religieuse. Que l'on soit catholique, musulman ou juif, le principe devrait être le même pour tous.

Pour tenter de nous convaincre qu'il s'agit d'un faux débat, le ministre Tomassi invoque le fait que son ministère n'a reçu aucune plainte. Mais à quoi s'attendait-il, au juste? À ce que des enfants de 3 ou 4 ans victimes d'endoctrinement lui envoient une lettre?

Le ministre insiste beaucoup sur le fait que la garderie est le «prolongement de la vie familiale». Ce faisant, il oublie de souligner que c'est aussi un tremplin vers la vie scolaire. Un des buts du programme éducatif des CPE est de préparer l'enfant à l'école et, par le fait même, à la vie en société. Son rôle est de faire la promotion de l'inclusion et non d'enseigner la religion.

En fin d'après-midi, après avoir répété sans grand succès les mêmes arguments faiblards toute la journée, le ministre a fini par reconnaître que le cas du CPE Beth Rivkah est préoccupant. Non pas parce qu'on y enseigne la religion - rien n'interdit formellement l'enseignement de la religion dans les garderies -, mais bien parce qu'on le soupçonne de ne pas respecter le programme éducatif du Ministère. On aurait préféré l'entendre pousser sa réflexion un peu plus loin et affirmer haut et fort l'importance de la laïcité dans les garderies financées par l'État.

Cette histoire montre une fois de plus que, deux ans après la publication du rapport Bouchard-Taylor, rien n'a vraiment changé au Québec au rayon de la laïcité. Le gouvernement fait la sourde oreille, n'osant pas toucher à cette patate calcinée. La confusion règne. La population s'impatiente et réclame avec raison des balises.

Il y a des balises, s'évertue à dire M. Tomassi, incapable d'en nommer une seule qui soit pertinente dans le débat qui nous concerne. Une balise, faut-il le rappeler, n'est pas une valise où on peut mettre tout et son contraire. C'est plutôt ce qui sert à guider le navigateur, à lui signaler la route à suivre et les écueils à éviter. Or, dans tout le débat sur la laïcité au Québec, alors que le vent se lève, il semble qu'il n'y ait ni balises ni même de navigateur dans le bateau. Qu'attend-on au juste?