Encore une fois, la manifestation contre la brutalité policière a été marquée par une centaine d'arrestations. Encore une fois, on a assisté à un triste spectacle de provocation mutuelle mettant en vedette policiers et manifestants. Encore une fois, des gestes de violence sont venus ternir cette absurde marche antiviolence.

Si le but officiel de cette manifestation est tout à fait noble, son message finit par être peu convaincant. Quelqu'un peut-il m'expliquer en quoi l'idée de mettre le feu à une remorque remplie de matériaux de construction permet de dénoncer la brutalité policière?

 

J'ai couvert pour la première fois cette manifestation annuelle le 15 mars 1999. Onze ans plus tard, le scénario reste à quelques détails près le même. Des gestes de provocation. De la casse. Des arrestations. Et le lendemain, toujours la même question: à quoi bon une manif antiviolence violente?

C'était comme ça en 1999. C'est encore comme ça en 2010. Ce qui a changé, c'est le niveau de tension. Depuis la mort de Fredy Villanueva, abattu par un policier le 9 août 2008, on sent que la tension a monté d'un cran et qu'il suffit de peu pour que tout dérape. Les policiers semblent plus que jamais sur les dents. Ils sont partout, présents sur terre et dans les airs, avec leur hélicoptère, leurs voitures, leurs vélos, leur armée de chevaux portant une sorte de jupette pare-balles, leur escouade antiémeute, les casques, les matraques, alouette... On n'ose pas imaginer le budget englouti par le Service de police de la Ville de Montréal dans cette seule soirée. Tout ça pour une bande de jeunes à peine sortis de l'enfance tout excités de jouer au chat et à la souris en cette belle soirée de printemps?

Comme les policiers sont directement visés par les manifestants qui leur lancent des messages hargneux, leur seule présence est perçue comme de la provocation. «Police partout, justice nulle part», scandaient-ils hier soir. «Trois coups de matraque, ça frappe en tabarnac», chantaient-ils ensuite sur l'air de «Un éléphant, ça trompe». Certains réclamaient justice pour Fredy Villanueva. D'autres demandaient la démission du ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis. «Refusons les abus dans nos quartiers». «Arrêtez le profilage». «La police qui enquête sur la police. WTF?»

Je suivais les manifestants qui marchaient encore d'un pas léger en début de soirée quand j'ai croisé le militant altermondialiste Jaggi Singh qui distribuait des tracts anarchistes. Je lui ai demandé s'il croyait que la manif de cette année allait être plus calme - l'an dernier, il y avait eu plus de 200 arrestations. Il a haussé les épaules en disant que c'était toujours pareil.

Il était 18h15. Quelques minutes plus tard, tout a dégénéré. Des manifestants masqués, tout vêtus de noir, se sont mis à faire du grabuge dans le parc Raymond-Préfontaine. Certains disaient qu'il s'agissait de policiers infiltrateurs. «Quand ils ont des vestes de cuir propres et des lunettes soleil Oakley, c'est louche...»

«Moi, je m'en vais chez nous», a dit une manifestante qui ne tenait pas à se faire arrêter. Les gens se sont mis à courir dans tous les sens. Des gars en noir ont sorti des matraques. L'escouade antiémeute a alors encerclé une trentaine des manifestants qui montaient la rue Préfontaine. Ils ont été arrêtés. Parmi eux, Jaggi Singh, qui ne semblait pas du tout surpris de son sort. C'est toujours pareil...

J'ai voulu m'approcher pour observer un peu mieux ce qui se passait. «Reculez, vous êtes trop proches», a crié aux journalistes un policier casqué. «Cartes de presse!» a-t-il ordonné. «Si j'ai du trouble, je t'arrête!» a-t-il lancé à un homme à mes côtés.

Quelques instants plus tard, un homme âgé a été arrêté de façon musclée. Le geste a indigné des manifestants. «Vous êtes des lâches! Pogner un m'sieur de 73 ans!»

Des gestes de provocation. De la casse. Des arrestations. C'est vrai, c'est toujours pareil. Et tant les policiers que les manifestants finissent par se complaire dans leurs rôles respectifs, comme s'ils cherchaient ce qu'ils dénonçaient. Car s'il n'y a pas de casse, de quoi pourraient se plaindre les policiers? Et s'il n'y a pas d'arrestations, de quoi pourraient bien se plaindre les manifestants?

Voilà qui ne fait malheureusement pas du tout avancer la réflexion.