Le Sud-Ouest est un de mes coins préférés de Montréal. Là où tout a commencé, à Saint-Henri, dans la Petite Bourgogne, dans Griffintown et Pointe-Saint-Charles... De vieux quartiers qui vivent des transformations parfois majeures qui font mal aux résidants les plus anciens.

Sur la rue Centre à Pointe-Saint-Charles, peut-être le vieux quartier le moins prisé par les grands promoteurs immobiliers, on s'aperçoit que les Québécois et les Irlandais catholiques qui ont bâti ce coin de ville ne sont plus majoritaires.

Les Indiens vont au restaurant Bombay, les Asiatiques à l'épicerie New Asia, les Arabes à l'épicerie Al-Raji, les latinos sont partout en grand nombre... Reste tout de même Chez Paul, hot dog vapeur et billard...

Mais il reste surtout la grande institution de PSC, la Taverne Magnan, une légende depuis 1932. Le meilleur roast beef au monde, dit-on. Magnan a ouvert depuis deux mois une épicerie fine dans son grand édifice - avec «les tartes des recettes originales de la famille Magnan», comme quoi on n'arrête pas le progrès.

La Taverne Magnan est aussi célèbre pour avoir été la dernière en ville à ouvrir ses portes aux femmes. «La famille Magnan était d'accord pour accueillir les femmes, mais nos clients ne voulaient pas. Ils ont signé une pétition. Mais les femmes ont fait pression, elles sont entrées de force et on a changé notre règlement en 1982», raconte Jean-Paul Richard, serveur chez Magnan depuis 34 ans.

Un cours de boxe

À la Taverne Magnan hier, Pierre Paquet, président d'Imavision Productions Box, a lancé un DVD sur la boxe et avait, comme invité d'honneur, George Chuvalo, légende de la boxe canadienne, surtout célèbre pour avoir combattu Muhammad Ali deux fois sans aller au plancher.

Aujourd'hui, Chuvalo est un conférencier très demandé, un monsieur éloquent et drôle, d'un charisme fou, avec qui on voudrait bavarder pendant des heures, ce que j'ai fait hier.

«Je me suis remarié il y a 14 ans. Si ma femme était ici, tu ne devinerais pas que c'est elle. C'est une vieille hippie. Tu peux l'écrire, je le lui dis souvent. Elle a une coiffure de rasta, des piercings, des tatouages partout. Je m'étais toujours dit que je ne marierais jamais une femme qui a des tatouages. Maintenant je l'accompagne chez les meilleurs tatoueurs, jusqu'en Thaïlande...

«Je me disais aussi que je ne marierais jamais une infirmière, parce qu'elles voient trop de choses... Ma femme est infirmière. C'est une femme de coeur qui peut conduire des centaines de kilomètres en pleine nuit pour aller aider quelqu'un en difficulté.»

Chuvalo fait 10 ans de moins que ses 71 ans. Il porte un jeans cool, un t-shirt noir et un élégant veston de tweed. Tout à fait coquet. Sa vie tumultueuse a fait les manchettes. Deux de ses quatre enfants sont morts d'overdose. Sa première femme s'est suicidée.

L'homme habite toujours à Toronto, où il est né.

«Je n'ai pas beaucoup de temps libres. Je visite des écoles et des clubs sportifs pour parler aux jeunes des dangers de la drogue. Mais je consacre encore plus de temps aux jeunes des Premières Nations. Ils ont besoin d'aide.

«J'ai six petits-enfants, de 2 à 26 ans. Et ils sont ma plus grande joie dans la vie.»

Et ce DVD, monsieur Chuvalo?

«C'est la boxe vue de l'intérieur. Vous avez les points de vue des boxeurs, des entraîneurs et des promoteurs. C'est une sorte de cours.»

Notons qu'en plus de George Chuvalo et de quelques invités de l'extérieur, la plupart des participants au film sont des artisans de la boxe locale, comme Éric Lucas, Yvon Michel, Jean Pascal, George Cherry, Guy Jutras, Russ Anber, Régis Lévesque...

«Vous êtes chanceux à Montréal, poursuit Chuvalo, les médias ont toujours appuyé les promoteurs de boxe. Je le sais, j'ai combattu une fois ou deux au Centre Paul-Sauvé. À Toronto, les médias boudent la boxe. On ne verra jamais une foule de 15 000 personnes à un match de boxe à Toronto. Il n'y a pas cette passion qu'on trouve à Montréal où les fans sont vraiment intéressés. Ni ailleurs au Canada. Vous êtes chanceux ici.

- Est-ce que Chuvalo est un nom italien?

- Pas du tout.

- Améridien?

- Non. Cherche encore... Notre famille est croate catholique et on habitait en Bosnie-Herzégovine. Les catholiques étaient traités comme des citoyens de deuxième ordre par les Turcs à l'époque. Chuvalo veut dire celui qui surveille, en turc. C'est le surnom que les maîtres donnaient à mon grand-père, qui surveillait leurs troupeaux. Il s'est enfui. Mon père a abouti à Toronto en 1926. Ma mère l'a rejoint 10 ans plus tard.»

Et que pensez-vous de la boxe d'aujourd'hui?

«Les poids lourds me dépriment. Ils sont trop gros et ne donnent pas assez de coups. Ils sont trop lents. Et puis on ne le connaît pas. Il n'y a pas de grandes personnalités comme Ali, Frazier, Foreman, Norton et les autres de mon temps.

«Ils sont chanceux par contre. Ils gagnent beaucoup d'argent. De mon temps, nous étions payés des miettes...

«Je n'aime pas tellement les spectacles de musique pendant les galas de boxe, ni les longues marches des boxeurs vers l'arène. Je n'ai jamais aimé les filles en bikini qui annonçaient les rondes, même dans mon temps. J'aime les femmes, mais je ne trouvais pas qu'il était nécessaire de les envoyer en bikini dans une arène de boxe...»

On aurait pu continuer pendant des heures, que je vous dis...