Êtes-vous prêt? Même si vous ne l'êtes pas, c'est parti quand même. La course aux cadeaux de Noël est commencée. Vous êtes mieux de vous protéger. Le magasineur est un animal dangereux. Un désaxé.

Vendredi, dans un Wal-Mart de Long Island, un employé a été piétiné à mort par des clients qui se ruaient vers les rabais. C'est pas une blague. C'est pas un film. Un homme a vraiment perdu la vie parce que les petites madames contentes étaient trop pressées de mettre la main sur un épluche-patates ou une couverture en micropeluche à moitié prix.

Vendredi aussi, dans un Toys R Us de Californie, une fusillade a fait deux morts. Deux clients se sont tiré dessus. Pas avec des pistolets à eau. Avec de vrais revolvers. Ils se sont chicanés pour un article. Je l'ai vu avant toi! Non, je l'ai vu avant toi! Pow! Pow! Plus personne ne verra rien. En espérant qu'il y a des bébelles pour tout le monde au ciel.

Au Québec, le magasinage du temps des Fêtes n'a pas encore fait de mort. Mais ce ne sont pas les faces d'enterrement qui manquent. Au centre commercial, c'est le festival de l'air bête. On dirait que tout le monde joue dans une vue de Tarantino. Disjonctés, agressifs, à deux doigts d'en péter une. Ça se pousse dans les escaliers mobiles, ça se pousse dans les rangées. C'est une guerre de territoire. Les mères se servent même de leurs poussettes pour se frayer un chemin. Pour rouler sur les autres. Aucun civisme. On entre dans l'ascenseur avant que les gens en soient sortis. On envahit la cabine d'essayage pendant que le petit monsieur n'a pas fini de remonter ses bobettes. On coupe la queue à la caisse avec la hargne d'une Lorena Bobbit.

Et chacun est habité par la même pensée: «Y a trop de monde icitte, j'haïs ça!» Et chacun voudrait que ce soit les autres qui s'en aillent.

Pourtant, Noël est censé être joyeux. Pourtant, on fait du shopping pour donner des cadeaux à ceux qu'on aime. Ça devrait être réjouissant. Oui. Si c'était la véritable motivation. Mais ce ne l'est pas. On va au centre commercial acheter des cadeaux parce qu'on sait qu'on va en recevoir et qu'on n'a pas le choix d'en donner. Sinon, on aurait l'air de quoi, à seulement en recevoir?

Et ceux qui nous en donnent vont au centre commercial pour la même raison, parce qu'ils savent qu'on va leur en donner, alors ils vont en acheter pour ne pas avoir l'air fou aussi. C'est un échange de sacrifices. Personne ne va au centre commercial par plaisir. Tout le monde y va obligé.

Les dents serrées. Le regard frustré. On va acheter quelque chose qu'on aime, mais ce n'est pas pour nous. Grrr! On est en train de s'appauvrir, ne nous demandez pas de sourire. Le pire, c'est que les vendeurs qui s'enrichissent ne sont pas plus jojos. Même qu'ils ont l'air encore plus frus que nous. Parce que l'argent qu'ils nous prennent ne va pas dans leurs poches, il va dans celles de leur patron. Et ils s'en foutent, de leur patron. Alors oubliez la courtoisie, oubliez la politesse, ils ont une seule envie: que vous déguerpissiez au plus sacrant. Que leur journée finisse. Enfin! Ils nous méprisent. On les dérange. Ils sont si bien au mois de mars, au mois d'août, quand ils n'ont personne à servir. Quand ils ont le temps d'envoyer des textos à leurs amis. D'aller dans l'arrière-boutique piquer un somme. En décembre, il y a toujours quelqu'un après eux. Toujours quelqu'un qui veut acheter quelque chose. C'est tannant.

Bilan des hostilités: des acheteurs qui sont frustrés d'acheter autant sont face à des vendeurs qui sont frustrés de vendre autant. Ça peut bien être laid. Des millions de personnes réunies au même endroit pour faire une activité qu'elles détestent mais qu'elles font quand même.

Et comment tout ça va-t-il finir? Au solde d'après-Noël, quand les gens vont rapporter ce qu'ils ont reçu pour se procurer ce qu'ils ont donné. Parce que les gens donnent toujours ce qu'ils aimeraient recevoir, jamais ce que l'autre voudrait.

Mon père avait réglé le problème. Mon père ne magasinait pas durant le temps des Fêtes. Il disait à ma mère: «Va t'acheter ce que tu veux.» Pas de tracas. C'est sûr que ma mère n'était pas très surprise à Noël, mais au moins elle avait ce qu'elle voulait. C'est peut-être ça, la solution. Tout le monde s'achète son petit cadeau. Au lieu d'avoir 30 cadeaux à acheter, on en a un: le sien. Fini la pression. Fini les dettes et les retours de marchandise.

Bien sûr, toute la beauté de l'échange est évacuée avec ce procédé. Mais encore faut-il que l'échange soit sincère...

Les gens s'attendent trop à recevoir pour que ce soit encore plaisant de donner. On veut ci! On veut ça! On a des demandes. On donne des idées. On envoie des listes. Wô! Il faudrait ne rien vouloir. Ou plutôt ne vouloir qu'une seule chose: le bonheur des autres. Pas le sien. Pour une fois.

C'est ça, Noël. Trois cent soixante-quatre jours par année, on fait tout pour passer devant les autres. Pour être le premier. Trois cent soixante-quatre jours par année, on ne pense qu'à soi. Noël, c'est la journée différente. Noël, c'est la fête de l'année où l'on pense aux autres. Faudrait que ça paraisse pendant qu'on est en train de la préparer.

Faudrait que les gens commencent à penser aux autres dès le centre commercial. Ça rendrait toute cette frénésie tellement plus agréable.

Joyeux shopping!

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