Je m'apprête à sortir et je le sens déjà. Le printemps n'est pas seulement dehors. Le printemps est aussi en dedans. Ça traverse la maison. Ça redonne vie aux odeurs et les murs s'illuminent. Je cherche le bon manteau dans le placard. Je prends ce que j'ai dans les poches de mon Kanuk et je les mets dans mon petit coupe-vent. Voilà, la transition des saisons est faite.

Enfin, aller dehors n'est plus une tâche. Aller dehors n'est plus une épreuve. Aller dehors est redevenu un pur bonheur. C'est sortir qui est plus compliqué. Parce que, voyez-vous, notre chat Bécaud a aussi le goût de renifler le gazon et de vivre des rapprochements avec quelques jolies chattes. Alors il est prêt. Aussitôt qu'il nous entend ramasser les clés, il se tapit derrière la porte. Comme Carl Lewis dans ses blocs de départ. Mais souvenez-vous, Bécaud n'a pas le droit de sortir. Il erre de fenêtre en fenêtre depuis sept mois, depuis son gros accident. En août dernier, une voiture a failli le propulser au paradis des chats. Le vétérinaire a été limpide. Si on laisse notre minou gambader dans l'arrondissement, il ne se rendra pas à 5 ans. Il en a 3.

 

L'hiver, c'était facile. On pouvait laisser la porte ouverte durant plusieurs minutes, Bécaud s'approchait du seuil, recevait une bourrasque de vent dans les moustaches et retournait sur son coussin préféré, en se disant: «Quel temps de chien!» Mais le printemps, c'est le printemps! Il a envie de se rouler dedans.

«Bécaud, tasse-toi!» Je parle à mon chat. Je sais, c'est absurde. Mais ça fait du bien: «Tu sais que tu ne peux pas sortir parce que tu es nul pour traverser la rue. Tu ne regardes pas des deux côtés. Tu fouilles dans les nids-de-poule. Tu t'étends sur la ligne blanche. Bref, tu es con. Alors tu restes dans la maison.»

Bécaud ne m'écoute pas, il a le museau dans la craque de la porte. Je le tasse avec mon pied et je me glisse à l'extérieur. Plus vif qu'un chat.

Bécaud me regarde. Avec ses petites pattes, il gratte le carreau de la fenêtre en miaulant. Lui aussi me parle. Il me dit qu'il préfère mourir libre plutôt que vivre enfermé. Que le bonheur est dans le pré, pas dans l'évier. Qu'il n'est pas un toutou. Qu'il est le roi lion. Et qu'il doit parcourir son territoire. Imposer sa loi aux écureuils et aux papillons. C'est ça, sa vraie nature. La raison de son existence.

Je lui fais un petit salut de la main et je continue mon chemin, le coeur gros. Que faire? Ma blonde opterait pour le laisser sortir. Un chat doit vivre sa vie de chat. Très bien. Mais une vie de chat, c'est pas une vie dans la rue. C'est une vie à la campagne. À courir après les souris. Quand les souris sont des Honda et des Toyota, ce n'est plus du jeu. Déjà que Binette, sa mère, s'est sauvée ou s'est fait écraser, je ne veux pas risquer de perdre mon Bécaud. C'est notre devoir de faire attention à lui. Même contre son gré.

Être dehors ou ne pas être dehors, voilà la question. En ce moment, c'est un moindre mal. Mais en juin, quand il fera 28° et que tout Montréal profitera du soleil, devrai-je encore garder Bécaud à l'ombre? Je connais l'opinion du vétérinaire. Et c'est pour ça que je le tiens en résidence. Mais ça me prendrait l'opinion d'un philosophe. Je me demande comment Jacques Languirand réglerait ce dilemme.

Vivre le printemps et l'été sans jamais voir l'hiver. Sans jamais revoir un autre printemps et un autre été. Ou vivre le printemps, l'été, l'automne, l'hiver. Mais de l'autre côté de la porte. En se collant le nez sur la moustiquaire pour essayer d'en faire partie un peu.

Fétiche, la chatte de mon enfance, a vécu 20 ans en ville. En parcourant le macadam. Mais la chatte de mon enfance était brillante. Elle traversait les rues comme une flèche. Et puis elle avait la chance d'avoir une ruelle. Et c'est là qu'elle vivait ses saisons. Bécaud a un parc, mais il est en face. Et les autos roulent en Villeneuve devant chez moi. Je pourrais demander au maire Tremblay d'installer deux dos d'âne directement devant la maison. Un passage déminé pour que mon chat aille se délasser. Mais je ne suis pas sûr qu'il va accepter, les chats ne votant PAS.

Je me sens comme un correspondant de Louise Deschâtelets. Complètement désemparé. J'ai besoin que quelqu'un décide pour moi. J'ai besoin que quelqu'un me dise quoi faire. Amis lecteurs, voulez-vous répondre à mon courrier du chat? Bécaud sort ou ne sort pas? Dépêchez-vous, il m'attend collé sur la porte et je m'apprête à entrer...

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