En janvier 2006, deux semaines avant les élections, un sondage CROP-La Presse donnait 39 % au Bloc québécois et 25 % au Parti conservateur. Le score final avait été : Bloc : 42,1, PC : 24,6.

Avance rapide, fin septembre 2008, deux semaines avant le scrutin du 14 octobre, CROP accorde 31 % au Bloc et 30 % au PC.

À moins d'une immense bourrasque au débat français de ce soir ou au cours des 13 prochains jours, une conclusion s'impose aujourd'hui en vue du jour J : le Bloc perd du terrain au profit des conservateurs.

Selon l'enquête de CROP, le brouhaha autour des compressions en culture et des jeunes contrevenants n'a pas trop affaibli Stephen Harper.

La question est de savoir combien de sièges le parti de Gilles Duceppe pourrait perdre. À première vue, le Bloc est toujours bien en selle malgré une diminution constante de ses appuis depuis quelques années.

Chose certaine, les chiffres devant nous ne permettent pas de prédire une vague conservatrice. Peut-être des vaguelettes régionales, dans le Centre-du-Québec ou en Mauricie, mais le potentiel de croissance en nombre de sièges reste limité.

Le parti de Stephen Harper a toujours quelques longueurs d'avance à Québec, certes, mais il a déjà toutes les circonscriptions disponibles, sauf une. À Montréal, les conservateurs prennent du mieux, mais il leur faudrait une forte avance pour gruger les majorités bloquistes et libérales.

Ailleurs, avantage Bloc, toujours premier chez les francophones (37 % contre 29 %). Le Bloc mène aussi dans les régions et dans le 450 et il a toujours la faveur des femmes (35 % pour le Bloc contre 25 % pour les conservateurs).

Par contre, les conservateurs sont très forts auprès des électeurs de 55 ans et plus (des électeurs qui ont tendance à voter en plus grand nombre) et ils attirent tout de même près d'un francophone sur trois, ce qui laisse entrevoir de belles luttes régionales.

La marginalisation des libéraux au Québec (12 % chez les francophones et à égalité, à 16 %, avec le NPD dans les intentions de vote générales) favorise aussi les conservateurs qui n'auront pas à partager le vote fédéraliste en région.

Avec un résultat de 16 % dans ce sondage, le NPD double son score électoral de 2006, ce qui s'explique, surtout, par l'effondrement du Parti libéral. Mais attention, le vote du NPD au Québec est à la politique ce que le flan est à la cuisine : dès que ça chauffe un peu, il a tendance à se liquéfier.

Mettez toutes ces données ensemble et la table est mise pour un bon duel entre Stephen Harper et Gilles Duceppe ce soir au débat des chefs. Si on les laisse débattre. Évidemment. À cinq chefs dans le studio érigé au Centre des conférences d'Ottawa, dont une (Elizabeth May), ne parle que difficilement le français, l'exercice risque d'être frustrant et cacophonique.

Quels devraient être les objectifs des chefs ?

Pour M. Duceppe, c'est relativement facile : jouer sur la peur des conservateurs, comme il le fait depuis le début de la campagne. Notre CROP de ce matin démontre que le scénario d'un gouvernement Harper majoritaire effraie davantage les Québécois aujourd'hui qu'il y a 30 mois. Ce n'est pas un hasard si le Bloc tape sur ce clou depuis le début de la campagne.

Le chef du Bloc, qui participera ce soir à son 12e débat des chefs, accusera M. Harper de couper en culture, de tenir la ligne dure envers les jeunes contrevenants ou de refuser de s'engager à reconnaître formellement la nation québécoise dans la Constitution. Il laissera aussi planer le spectre de George W. Bush au-dessus de la tête du chef conservateur.

Stephen Harper, de son côté, doit éviter de prendre les Québécois de front avec des sujets rébarbatifs comme la culture ou la répression. Il doit les rassurer.

Son bilan envers le Québec est plutôt positif (reconnaissance de la nation, siège à l'UNESCO, déséquilibre fiscal), il doit le mettre de l'avant. Le problème n'est pas ce qu'il a fait, mais ce qu'on le soupçonne de vouloir faire.

Aux dernières élections, Stephen Harper a arraché beaucoup de votes au Bloc en proposant des éléments précis et positifs pour les nationalistes et la classe moyenne, ce qu'il n'a pas réussi à faire cette fois.

Le chef conservateur joue gros ce soir. Il peut gagner, ou échapper, une bonne dizaine de nouveaux sièges entre 20 h et 22 h.

Et Stéphane Dion ?

Le chef libéral, plus impopulaire que jamais au Québec, doit sauver les meubles, ce qui serait déjà un exploit.

Sa principale préoccupation maintenant, au Québec, est de ne pas subir l'humiliation de se faire dépasser par le NPD.