Malgré l'opposition d'une bonne partie de la population au déclenchement des élections par Stephen Harper, le gros bon sens voulait néanmoins que l'appel aux urnes fût nécessaire pour élire un nouveau gouvernement avec un mandat neuf.

C'est un fait que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper, après plus de 30 mois au pouvoir, tournait à vide. Il était donc légitime pour M. Harper de vouloir repartir sur de nouvelles bases.

 

Le problème, on s'en rend compte près d'un mois après le déclenchement, c'est que le chef conservateur tourne à vide aussi en campagne électorale. Il ne demande pas un mandat, il demande d'être réélu, ce qui est bien différent.

Dans le flot de critiques qui se sont abattues cette semaine sur Stephen Harper au cours des quatre heures de débat en français et en anglais, il a beaucoup été question du fait que les conservateurs n'ont pas de plan économique.

Les chefs de l'opposition n'ont pas tort. Il n'y a pas de plan économique, en effet. Mais c'est même pire que ça: il n'y a pas de plan, point.

Nous en sommes au 26e jour d'une campagne qui en compte 35 et le Parti conservateur n'a toujours pas dévoilé de programme électoral en bonne et due forme.

Pas de plateforme, que des promesses éparses, comme un crédit d'impôt pour les parents qui inscrivent leurs enfants à des cours d'art, comme le durcissement des peines pour jeunes contrevenants, comme le renforcement de la souveraineté canadienne dans l'Arctique.

Sur le site officiel du Parti conservateur, pas de trace de programme électoral.

Pour avoir une vague idée des promesses faites par M. Harper, il faut éplucher la liste des communiqués de presse, parmi lesquels il y a deux fois plus d'attaques contre les partis de l'opposition que de propositions conservatrices.

Vous découvrirez, par exemple, que le gouvernement «consacre 24 millions de plus pour développer des escales de croisières internationales le long du Saint-Laurent».

Ce n'est pas exactement ce que l'on peut appeler un plan. Aucune ligne directrice, pas une seule idée forte. M. Harper pense-t-il vraiment remplir un mandat de quatre ans avec si peu?

Quand on clique sur l'onglet «dossiers clé», comme l'économie, la criminalité ou la fiscalité, on trouve un bilan des conservateurs depuis 2006, mais rien pour la suite. Pas de carte routière, pas d'itinéraire, même pas de direction. Stephen Harper demande aux Canadiens de lui remettre les clés de l'auto sans daigner leur dire où il veut les conduire.

Cette absence de plan est à l'image de cette campagne électorale. Une campagne lancée par une manoeuvre cynique de la part de M. Harper, et dont le but n'était que de prendre les libéraux de court, ce qui a très bien fonctionné.

Excédé par la couverture médiatique de sa campagne, le chef conservateur s'est permis, la semaine dernière, de faire la morale aux journalistes, à qui il reproche de s'attarder aux anecdotes, aux gaffes et aux excuses.

Quand on n'aime pas le message, c'est bien connu, on tire sur le messager. Mais M. Harper n'a que lui-même à blâmer pour la mauvaise couverture. La nature a horreur du vide. Les médias aussi. À défaut de substance, ils se rabattent sur les faits divers de la campagne.

Et ils sont nombreux: fientes d'oiseau, commentaires désobligeants aux parents d'un soldat mort au combat, plagiat de discours, déclarations controversées de ministres, excuses à profusion de la campagne conservatrice, contrôle paranoïaque des candidats...

Par ailleurs, les conservateurs tapent tellement fort sur Stéphane Dion et sur le Bloc qu'il est difficile de ne pas en parler.

Remarquez, les campagnes des autres partis ne sont pas particulièrement réjouissantes non plus.

Depuis le début de la campagne, huit candidats - un record - ont été éjectés de leur parti à cause de propos controversés ou pour des histoires de moeurs douteuses.

De plus, les quatre grands partis ont diffusé des publicités douteuses attaquant leurs adversaires ou exagérant gravement certaines de leurs déclarations ou de leurs politiques.

L'air malsain de cette campagne et les attaques échevelées n'arrivent pas à masquer le manque généralisé de substance, la faible qualité générale des candidats, la démagogie galopante des innombrables communiqués des partis qui encombrent nos boîtes de courriel et le peu d'intérêt des électeurs.

De fait, aucun parti n'a, à ce jour, organisé un grand rassemblement digne de ce nom.

Un collègue d'Ottawa, vieux routier de la colline parlementaire rencontré cette semaine à l'occasion des débats des chefs, m'a dit, l'air dépité, à quel point cette campagne le dégoûte.

Dégoût, le mot est fort. Je n'en suis pas encore là, mais disons que cette campagne, à bien des égards, est indigne d'une démocratie comme la nôtre.

Chose certaine, c'est de loin la pire que j'aie eu l'occasion de suivre depuis 15 ans. De loin.