Je me souviens encore très bien d'une certaine journée du printemps 1998, à la Chambre des Communes, quand Jean Charest avait fait ses adieux officiels à ce parlement où il siégeait depuis 14 ans pour se diriger vers celui de Québec.

Tous les autres chefs de partis avaient eu des bons mots, moqueurs et solidaires, pour souligner la carrière de ce jeune vétéran et pour mettre en lumière les défis qui l'attendaient à Québec, devant un certain Lucien Bouchard. Tous, sauf le tout nouveau chef du Bloc, Gilles Duceppe, qui avait fait preuve d'une certaine mesquinerie partisane en lançant, le menton en avant et l'air frondeur : Allez à Québec, on vous surveille!

Petit malaise, à l'époque, aux Communes. Un ange passe...

C'est drôle, mais 11 ans plus tard, ce «on vous surveille» prend un tout autre sens.

M. Duceppe ne pensait pas si bien dire : il a vraiment surveillé M. Charest, au point de reprendre toutes ses revendications auprès du gouvernement fédéral. Au point de faire siennes les demandes et les attentes du gouvernement du Québec et de devenir sa plus faible courroie de transmission à Ottawa.

Visionnez l'entrevue de M. Duceppe au Forum des chefs : c'est hallucinant! On croirait entendre Jean Charest parler.

Respect de Kyoto, bourse du carbone à Montréal, ne pas pénaliser le Québec pour ses choix énergétiques moins polluants, respect des champs de compétence, aide pour les secteurs manufacturiers et forestiers, projet d'un train rapide, aide fédérale au développement régional et en culture, programmes d'infrastructures équitables, etc.

M. Duceppe s'est même fait le porteur d'une autre demande répétée du gouvernement Charest auprès du fédéral : rembourser le manque à gagner du Québec (autour de 250 millions par année) à cause de son réseau de garderies à 7 $ par jour.

Et l'équité pour l'industrie aéronautique du Québec par rapport à sa cousine ontarienne de l'automobile. En plus d'un plaidoyer en faveur de la prévention plutôt que de la répression du crime chez les jeunes.

Pas un mot sur la souveraineté dans cette entrevue de M. Duceppe, comme c'est devenu la norme dans cette campagne. Que des revendications, le plus souvent sonnantes et trébuchantes, du Québec. Que des demandes à Ottawa.

S'il existe, en effet, un axe ADQ-Conservateur, symbolisé par la relation entre Mario Dumont et Stephen Harper, Jean Charest n'est pas en reste : il a trouvé en Gilles Duceppe son meilleur allié dans la capitale fédérale.

Écoutez, lisez les déclarations de Jean Charest dans le cadre de cette campagne électorale fédérale : redistribution équitable pour le Québec des sièges à la Chambre des communes, opposition au durcissement des peines pour les jeunes criminelles, maintien d'une Commission des valeurs mobilières distincte au Québec, respect de l'année de référence pour le protocole de Kyoto et contrôle accru des armes à feu.

Rien pour effrayer Gilles Duceppe. Au contraire, ce sont aussi ses chevaux de batailles.

D'ailleurs, MM. Duceppe et Charest ne partagent pas que les revendications envers Ottawa.

Ils partagent aussi la même base électorale nationaliste. Celle qui s'apprête à réélire une majorité de députés du Bloc aux Communes et qui pourrait bien donner une majorité à Jean Charest, en décembre prochain s'il met son projet d'élections hâtives à exécution.

La politique, dit le vieux dicton, fait d'étranges compagnons de lit...