Trop peu trop tard, le programme conservateur?

Trop tard, ça, c'est indéniable.

Présenter son programme électoral au 31e jour d'une campagne qui en compte 35, c'est en effet très tard. Surtout quand on sait que Stephen Harper y a été forcé par ses adversaires et les commentateurs, unanimes à critiquer sa passivité devant la crise financière mondiale.

On appelle cela se peinturer dans le coin. M. Harper a déclenché des élections en disant qu'il est le mieux placé pour gouverner en temps de crise, mais plus cette crise approche, moins il semble prêt à réagir.

 

Ses mesures annoncées hier, quelques centaines de millions dans quatre secteurs industriels clés de l'économie canadienne, paraissent aujourd'hui bien faibles devant l'ampleur de la crise qui secoue la planète financière.

L'une des plus grandes faiblesses de la politique des conservateurs - mais ça, M. Harper ne l'admettra pas -, c'est d'avoir volontairement réduit les revenus de l'État, de s'être privés d'un coussin, en baissant la TPS de 2%, notamment. Ces petits 2% de moins de TPS, qui profitent évidemment aux plus riches qui consomment davantage, font perdre entre 10 et 12 milliards par année à Ottawa. Des sous dont on pourrait avoir besoin pour envoyer une bouée aux naufragés du tsunami financier qui s'en vient.

Trop tard pour reculer. À moins d'être suicidaire, un gouvernement ne peut revenir sur une baisse de taxe. Même Stéphane Dion, qui sait que c'est une mauvaise politique, s'est ravisé et ne promet plus de rehausser la TPS.

Le «plan» Harper est mince et il arrive bien tard mais, à sa décharge, que pouvait-il vraiment faire?

Il a rappelé, pour l'énième jour d'affilée, que notre économie et notre système bancaire sont plus solides que chez nos voisins du Sud. Pour le reste, les causes et les répercussions d'une telle crise dépassent largement nos gouvernements. Voyez en Europe: l'hyperactif président Sarkozy s'est agité tout le week-end avec ses homologues italien, allemande et britannique. Résultat: les grandes Bourses d'Europe se sont écrasées lundi matin.

Autre exemple d'impuissance des gouvernements: le prix de l'essence. Au début de la campagne, on ne payait pas loin de 1,50$ le litre et les partis de l'opposition tombaient à bras raccourcis sur le gouvernement Harper. Aujourd'hui, le litre se vend à moins de 1,20$. Pourtant, le gouvernement n'a rien à voir là-dedans.

Les partis de l'opposition font beaucoup de «millage» sur la crise financière, mais le fait est qu'ils ne peuvent rien faire pour calmer ou discipliner des marchés complètement irrationnels.

Mais, à la guerre comme à la guerre, M. Harper était mal préparé pour cette campagne et, naturellement, il en paye le prix.

Il a perdu la bataille de l'économie. Mais ce n'est pas tout, il est aussi en train de se faire battre, de façon plus décisive encore, sur le terrain du nationalisme au Québec par un improbable tandem formé de Jean Charest et de Gilles Duceppe.

S'il existe, en effet, un axe ADQ-conservateurs, symbolisé par la relation entre Mario Dumont et Stephen Harper, Jean Charest n'est pas en reste avec Gilles Duceppe, son meilleur allié à Ottawa.

Écoutez les déclarations de Jean Charest dans le cadre de cette campagne électorale fédérale: redistribution équitable pour le Québec des sièges à la Chambre des communes, opposition au durcissement des peines pour les jeunes criminels, maintien d'une Commission des valeurs mobilières distincte au Québec, respect de l'année de référence pour le protocole de Kyoto et contrôle accru des armes à feu. Ce sont aussi les chevaux de bataille de Gilles Duceppe. Allez visionner l'entrevue de Gilles Duceppe au Forum des chefs (www.forumdeschefs.ca). On croirait entendre Jean Charest. En fait, vous pourriez asseoir Gilles Duceppe à la place de Jean Charest que vous n'y verriez que du feu. Chose certaine, Stephen Harper doit avoir la désagréable impression que Gilles Duceppe s'est dédoublé.

Le Bloc, vidé de son urgence souverainiste, est devenu la plus fiable des courroies de transmission de M. Charest à Ottawa. Respect de Kyoto, Bourse du carbone à Montréal, ne pas pénaliser le Québec pour ses choix énergétiques moins polluants, respect des champs de compétence, aide pour les secteurs manufacturier et forestier, projet d'un train rapide, aide fédérale au développement régional et en culture, programmes d'infrastructures équitables. Et l'équité également pour l'industrie aéronautique du Québec par rapport à sa cousine ontarienne de l'automobile. En plus d'un plaidoyer en faveur de la prévention plutôt que de la répression du crime chez les jeunes... Les deux chefs sont interchangeables.

MM. Duceppe et Charest ne partagent pas que les revendications envers Ottawa. Ils partagent aussi la même base électorale nationaliste. Celle qui s'apprête à réélire une majorité de députés du Bloc aux Communes et qui pourrait bien donner une majorité à Jean Charest, en décembre, s'il met son projet d'élections hâtives à exécution.

Tout un échec pour Stephen Harper, qui s'est planté sur ses deux terrains de prédilection. Et il n'a que lui-même à blâmer. C'est tout de même une curieuse idée de partir en campagne sans programme.

En langage de football, les conservateurs étaient à la ligne d'une verge avec quatre essais. Mais non seulement ils sont incapables de marquer un touché, en plus, ils ne cessent de reculer.

Ils peuvent encore espérer sauver les meubles avec un placement, mais ils pourraient tout aussi bien perdre le ballon aux mains des libéraux.