Il s'est passé quelque chose d'exceptionnel, hier à Ottawa: Stephen Harper a reculé. Il est revenu sur sa décision d'abolir les subventions aux partis politiques.

Malgré tout, ce ne sera vraisemblablement pas suffisant pour permettre au gouvernement Harper de sauver sa peau parce que, depuis deux jours, il s'est passé quelque chose d'encore plus rare à Ottawa: les libéraux et les néo-démocrates, grisés par la perspective de prendre le pouvoir, parlent maintenant d'une coalition rouge-orange.

 

Les Anglais ont une expression parfaite pour décrire l'état d'esprit des libéraux et du NPD: They smell blood. Ils savent que leur adversaire est blessé, qu'il saigne, et, comme des requins, ils préparent l'attaque fatale.

Le vote crucial aux Communes ne doit avoir lieu que dans huit jours, mais hier après-midi, à Ottawa, peu de gens croyaient que Stephen Harper pourrait s'en sortir devant une opposition plus décidée que jamais à le renverser.

Même si les conservateurs reculent sur le financement des partis. Et même s'ils bonifient leur plan économique pour répondre à quelques demandes de l'opposition. Celle-ci en rajoutera, trop heureuse d'avoir trouvé une faille dans l'armure de Stephen Harper.

Voici comment un député libéral ontarien a résumé la situation hier après-midi dans un courriel: «Stephen Harper et Jim Flaherty ont perdu trop de crédibilité. Nous ne pouvons plus croire maintenant ce qu'ils disent, rien de ce qu'ils peuvent dire ou faire cette semaine ne changera la question fondamentale de leur crédibilité et de leurs motivations.»

L'enthousiasme des libéraux à la perspective de reprendre le pouvoir par une sorte de coup d'État tranquille enrage les conservateurs, évidemment. L'empressement suspect des néo-démocrates à accaparer la plus grosse part du gâteau ne fera qu'aggraver leur humeur.

Cela dit, c'est leur chef qui a semé les graines de la révolte.

Voici un premier ministre qui a renié sa propre loi sur les élections à date fixe, sous prétexte qu'il avait besoin d'un nouveau mandat pour affronter la crise économique.

Une fois réélu, il arrive avec de désagréables surprises, comme la fin des subventions aux partis politiques et la suppression du droit de grève dans la fonction publique, mais à peu près rien pour... l'économie.

Si M. Harper voulait lancer de telles réformes, pourquoi n'en a-t-il pas glissé un seul mot dans la récente campagne? Poser la question, c'est y répondre.

Stephen Harper croyait pouvoir enfoncer ces politiques dans la gorge d'une opposition désunie et épuisée. Il semble toutefois que son radar politique, cette fois, l'ait conduit vers un mur.

À en juger par les nombreux courriels de lecteurs, la perspective d'un gouvernement de coalition paraît viable, et même souhaitable (n'importe quoi sauf des élections!), mais ce scénario inédit soulève tout de même quelques questions.

Par exemple:

- Quelles sont les options et la marge de manoeuvre de la gouverneure générale?

La convention veut que le titulaire de ce poste symbolique acquiesce aux demandes du premier ministre.

Si le gouvernement est renversé, donc, la gouverneure générale devrait accepter de dissoudre le Parlement, ce qui entraînerait de nouvelles élections.

Elle pourrait toutefois juger que l'intérêt des Canadiens serait mieux servi par la formation d'un gouvernement de coalition. Mesure exceptionnelle, certes, mais nous sommes dans une situation exceptionnelle. S'il devait, de nouveau, y avoir des élections, ce serait la troisième fois en trois ans. Et le deuxième scrutin en trois mois.

Le contexte économique - les politiciens et Stephen Harper surtout nous l'ont assez répété - doit être pris en considération en politique. Cela vaut aussi pour la gouverneure générale, qui doit évaluer les risques que poseraient d'autres élections pour la stabilité de l'économie canadienne.

La prédécesseure de Michaëlle Jean, Adrienne Clarkson, a d'ailleurs écrit dans ses mémoires que, si le gouvernement minoritaire de Paul Martin était tombé, en septembre 2004, trois mois seulement après son élection, elle aurait demandé à l'opposition menée par Stephen Harper de former un gouvernement de coalition.

Stephen Harper lui-même avait milité en faveur d'un tel scénario, en 2004, dans une lettre adressée à Mme Clarkson et cosignée par Gilles Duceppe et Jack Layton.

- Qui sera le premier ministre?

M. Harper parle de Stéphane Dion, mais les libéraux, eux, ne sont pas chauds à cette idée. Un mouvement organisé dans le caucus libéral avance plutôt l'idée de remplacer Stéphane Dion par Michael Ignatieff.

- Quel rôle pour le Bloc (et pendant combien de temps)?

Le dilemme auquel fait face le Bloc est le suivant: jusqu'où un parti souverainiste peut-il aller pour faire fonctionner le gouvernement canadien? Dans un scénario de coalition, le Bloc est coincé: ou il devient l'allié d'un gouvernement rouge-orange ou il le fait tomber avec... les conservateurs.

À force de contorsions, le Bloc est devenu un serpent qui se mord la queue. Maintenant, le serpent risque de s'avaler lui-même.

- Peut-on envisager une alliance formelle et durable des partis de centre gauche?

La question a commencé à émerger durant la dernière campagne. Elle revient aujourd'hui comme un boomerang. Contre une droite unie, la gauche (centre gauche, soit le PLC et le NPD) doit-elle se souder en incluant les verts, qui ont récolté près d'un million de votes en octobre? Si oui, comment?

Pour finir, trois autres questions, en vrac:

- Quelle sera la réaction de la riche Alberta?

- Harper peut-il rester après un tel déshonneur?

- Le gouvernement de coalition se soumettrait-il à la loi sur les élections à date fixe?

La Chambre des communes est devenue, cette semaine, le plus grand laboratoire vivant de sciences politiques au Canada.